17 mars 2010

Essai d'une nouvelle guillotine à Lille (1794)


Au début de l’année 1794, La commune de Lille fit construire une nouvelle guillotine par un charpentier local. Avant sa mise en service, les administrateurs du directoire demandèrent au bourreau de la ville de procéder, en leur présence, aux vérifications d’usage. Pierre-Joseph Foyez, exécuteur des hautes œuvres de Lille depuis plus de vingt-cinq ans (1) et Charles-Louis, son fils, qui était aussi son aide, testèrent la machine en guillotinant deux moutons. Voici le procès verbal de ces essais :

« Le quinze pluviove de l'an second (3 février 1794) de la République Françoise une & indivisible, trois heures après midi, Nous Henri Sifflet et Louis Le Clercq administrateurs du Directoire du District de Lille, commissaires nommés par l'Administration pour être présens à l'épreuve d'une nouvelle guillotine, nous sommes transportés dans la maison du citoyen Deledicque, marchand charpentier, rue des trois anguilles, où étant & en présence des citoyens Pierre Boisserie, officier municipal de la commune de Lille, Pierre-Joseph Dumont, architecte adjoint au génie, & Deledicque, marchand charpentier, avons par les citoyens Pierre & Charles-Louis Foyez, exécuteurs de la Loi, fait faire l'épreuve de la nouvelle guillotine à bascule, construite d'après le plan de celle de Paris, en faisant opérer sur un mouton vivant garni de toutes ses laines; ayant attaché à cet effet l'animal sur la bascule, le tranchant étant tombé, la tête de l'animal fut bien séparée de son corps, mais elle resta suspendue par les laines du cou.
Ayant examiné attentivement quelle étoit la cause de cet événement, nous avons remarqué que la laine qui s'étoit introduite sur les côtés avoit retenu la tête et l'avoit empêchée de tomber sur l'échafaud.
Pour nous en assurer nous avons fait amener un second mouton, & après avoir pris la précaution de faire couper les laines qui environnoient le cou & la tête & l'avoir fait placer sur la bascule, le tranchant étant tombé, la tête fut à l’instant entièrement séparée du corps. La guillotine ayant fait alors tout l’effet qu’on pouvoit en attendre nous avons fait dresser le présent procès verbal.
Henri Sifflet et Louis Le Clercq, administrateurs du Directoire du District de Lille. » (2)

(1) Trois mois seulement après avoir essayé cette nouvelle guillotine, Pierre-Joseph Foyez mourut le 30 mai 1794 dans sa maison de la rue des Etaques.
(2) Archives départementales du Nord, Série L, district de Lille, liasse 53. Document publié in Bulletin de la Société d’Etudes de la Province de Cambrai, tome XII, 1908, Lille, Lefebvre-Ducrocq, 1908, pp.267-268.


10 mars 2010

Une course à l’échafaud


En août 1836, la presse spécialisée dans les affaires criminelles relate un incident survenu lors du transport d’un condamné à mort sur les lieux de son exécution. Un tel épisode, qui avait déjà eu des précédents, aurait pu davantage relever de l’anecdote burlesque s’il ne s’était pas agi de la mise à mort d’un condamné, moment particulièrement grave et solennel.
Le 31 mai 1836, la cour d’assises de Paris avait condamné à la peine capitale le nommé Benito Pereira, 35 ans, espagnol, ancien moine bénédictin devenu ouvrier ébéniste à Paris. En 1831, l’homme avait abandonné son couvent des environs de Burgos, en Espagne, pour se réfugier en France. On apprendra plus tard qu’il était soupçonné d’une tentative d’empoisonnement sur les religieux de son monastère. D’abord installé à Bordeaux, chez un compatriote, il ne tarda pas à le quitter, non sans lui avoir volé, pendant son séjour, différents objets de valeur. Arrivé à Paris, il fut accueilli par l’abbé Borja qui, très charitablement, lui fit apprendre le métier d’ébéniste, en payant lui-même ses frais d’apprentissage. Pour tout remerciement, l’ingrat lui déroba une somme de 160 francs. Chez son bienfaiteur, Pereira avait fait la connaissance de l’abbé Ferrer, un prêtre espagnol dont il avait su gagner l’affection. Celui-ci vint le voir dans son atelier et, tout naturellement, l’invita chez lui, à la Maison des frères de l’école chrétienne du 6ème arrondissement, où il avait été nommé aumônier en juillet 1835. Au cours d’une de ses visites, l’ancien moine découvrit que son hôte possédait une montre en or, un livret de Caisse d’épargne crédité d’une somme de 900 francs et 400 francs en espèces. Le 29 octobre 1835, au matin, muni d’un équarrissoir qu’il avait dérobé chez son patron, Benito Pereira se rendit chez l’abbé Ferrer. Le lendemain on retrouva le prêtre, baignant dans son sang. Il avait été assassiné avec un outil de forme quadrangulaire.
Trois semaines plus tard, le 21 novembre, Pereira fut arrêté. On découvrit sur lui la montre et le livret de Caisse d’épargne de la victime. Malgré ses dénégations il fut envoyé aux assises et condamné à mort. (1)

Jeudi 4 août 1836, l’exécuteur des arrêts criminels de Paris se présenta à la prison de Bicêtre pour y prendre possession du condamné. Deux voitures et une escorte de gendarmes à cheval attendaient au dehors pour le conduire au rond-point de la barrière Saint-Jacques où on avait dressé la guillotine. Depuis quelques mois ce n’était plus Henry Sanson lui-même qui présidait aux exécutions – bien qu’il y assistait – mais son aide principal Jean-Pierre Piot (2). La suite nous est racontée par les journaux :

« Selon l'usage, en sortant de Bicêtre, le patient monte dans la première voiture couverte avec deux aides de l'exécuteur; derrière et immédiatement après, vient le fiacre qui conduit l'exécuteur et un autre aide. Ces deux voitures sont ordinairement encadrées par les cavaliers servant d'escorte mais hier la voiture du condamné roulait avec une telle vitesse, que les gendarmes se virent obligés de faire prendre le galop à leurs chevaux, pour ne suivre que la voiture du patient, en laissant en arrière, et loin d'elle, le fiacre de l'exécuteur. Celui-ci, mécontent de se voir ainsi a l'écart, criait par la portière au chef commandant l'escorte de faire entourer sa voiture par ses soldats, et de faire ralentir le pas de la première jusqu'à ce qu'il l'eût rejointe; mais le sous-officier était sourd à sa voix, et la marche, loin de se ralentir, n'en devenait que plus rapide. Alors l'exécuteur a fait arrêter son fiacre, d'où il est descendu pour courir à toutes jambes après les gendarmes, qu'il a enfin rejoints, et aussitôt la voiture du patient a cessé de router. Tout à coup de vifs débats s'engagent entre l'exécuteur et le chef commandant l'escorte. « Je n'ai aucun ordre à recevoir de vous, dit le maréchal-des-logis à l'exécuteur; ma mission est d'escorter le condamné, et non pas vous. Vous vous trompez, lui répond celui- ci, le patient n'est pas le seul que vous deviez escorter vous êtes ici pour me protéger contre toute attaque qui pourrait être dirigée par la malveillance dans l'intention de paralyser l'exécution des arrêts de la justice. Encore une fois, je ne vous connais pas, ajoute le sous-officier les gendarmes ne doivent obéissance qu'à moi seul. C'est une erreur, réplique vivement l'exécuteur; jusqu'après le supplice du condamné, c'est à moi qu'il appartient de donner des ordres pour la sûreté de l'exécution de l'arrêt; d'ailleurs, il serait inhumain d'exposer le patient à m'attendre au pied de t'échafaud, et si vous persistez à ne pas escorter ma voiture en même temps que celle du condamné, je vous déclare que je n'irai pas plus loin, et que vous assumerez sur vous toutes les conséquences du retard de l'exécution. Ce colloque s'est prolongé encore quelques instans enfin la résolution bien arrêtée de l'exécuteur de ne pas avancer plus loin sans escorte a déterminé le chef de la troupe à envelopper les deux voitures d'une double haie de cavaliers, et le cortège est enfin arrivé au lieu du supplice à huit heures moins un quart, sans nouveaux incidens. » (3)

Quelques minutes plus tard Benito Pereira était guillotiné.

(1) Archives Nationales, BB/24/2008/1.
(2) H. Sanson, Mémoires des Sanson, Tome VI, Paris, Dupray de la Mahérie, 1863, p. 520.
(3) Gazette des tribunaux (5 août 1836), Journal des débats politiques et littéraires (6 août 1836).