28 janvier 2010

La belle et le bourreau


La vie sentimentale des Sanson, bourreaux de Paris, n’a guère passionné les historiens. Pourtant, plusieurs membres de cette célèbre dynastie ont collectionné les aventures amoureuses, à commencer par Charles, premier du nom, qui eut une liaison tumultueuse avec la fille d'un loueur de carrosses. Poursuivi et emprisonné pour enlèvement il n'en continua pas moins à la fréquenter, même après qu'elle eût épousé un autre. Charles-Henry, son petit fils, marié en 1766 avec Marie-Anne Jugier, fille d’un bourgeois de la paroisse de Montmartre, n’était pas insensible aux charmes des filles publiques qui fréquentaient le « camp des tartares » au Palais Royal (1). Le journal du libraire Siméon-Prosper Hardy rapporte, à ce sujet, une anecdote amusante :

« Lundi 6 février 1786. Ce jour sur le soir le nommé Sanson, exécuteur des hautes œuvres se promenant au Palais Royal sous l'une des galeries dite "le camp des tartares" et y ayant soi-disant acosté une des élégantes impures qui ont coutume de fréquenter ce lieu devenu pour elles si avantageux; avec laquelle il avoit déjà par suite de conversation et de jolis propos, conclu comme une espèce de pacte ou de marché; n'est pas peu surpris de se voir tout à coup éconduit et congédié par la donzelle probablement avertie sourdement de l'ignominieuse profession du personnage auquel elle s'était arrêtée; d'où il résulte une très plaisante rixe accompagnée d'injures et de menaces réciproques, dont s'amusent infiniment toutes les personnes qui en sont témoins et dont on s'entretient dans les petits soupés. » (2)

(1) A la veille de la révolution, la partie du Palais Royal qui n’était pas encore achevée était occupée par des hangars de planches qui formaient trois rangées de boutiques et deux galeries couvertes. Ces constructions provisoires – qui ont duré quarante-trois ans – reçurent le nom évocateur de camp des tartares notamment en raison de la faune interlope qui les fréquentait.
(2) Bibliothèque Nationale, Ms Fr. 6685 f°286.



24 janvier 2010

Accident du travail


Au cours de l’histoire, combien d’exécuteurs ont été blessés, voire tués, dans l’exercice de leur profession ? Il est impossible d’en faire le recensement. Le cas d’Antoine Reine, évoqué ci-dessous, constitue un exemple intéressant de la relative dangerosité du métier de bourreau.

Né le 4 février 1799 à Dugny-sur-Meuse, en Lorraine, et bien que fils d’un bourrelier, Antoine Reine appartient à une importante dynastie de maîtres des hautes et basses œuvres de l’Est de la France. Au printemps 1816, à peine âgé de dix-sept ans, il obtient son premier poste comme adjoint de Jean-François Guerchoux, exécuteur en chef de Toulouse. Hébergé au domicile de son patron, 6 place Saint-Julien, il apprend le métier aux côtés de Laurent, Henri-Mathieu et Jean-Pierre Guerchoux, les fils du bourreau.

Moins d’un an à peine après son arrivée en Haute-Garonne, on lui confie déjà la responsabilité de mettre à exécution certaines sentences. Notamment l’exposition des condamnés. Le 19 décembre 1816 la justice a condamné le nommé Pierre Conspeyre à cinq ans de travaux forcés et à être, préalablement, attaché au carcan pendant une heure sur la place publique de Labarthe-Rivière près de Saint-Gaudens. L’ordre d’appliquer le jugement est transmis au bourreau le 8 janvier 1817. Comme la commune où doit avoir lieu l’accomplissement de la peine est située à près de cent kilomètres de Toulouse, Jean-François Guerchoux, souffrant d’une hernie, délègue ses deux adjoints – dont Antoine Reine – pour appliquer le jugement (1). Le 15 janvier, Reine est à Labarthe-Rivière et procède, sans incident, à l’exposition du condamné.
Le lendemain, il reprend la route pour rentrer à Toulouse. Le mauvais temps rend la marche difficile. Le jeune exécuteur-adjoint, dans la crainte d’une mauvaise rencontre, est armé d’un fusil chargé. Alors qu’il arrive à Martres-Tolosane, sur la rive gauche de la Garonne, soudain il tombe, provoquant l’explosion de son arme. Gravement blessé à la main droite, il regagne Toulouse. Le coup « a emporté les doigts et fracassé les os du carpe et du métacarpe ainsi que les parties molles » (2) La blessure est telle qu’il faut procéder à l’amputation du membre au niveau du poignet. Le 17, il est opéré par le professeur Naudin, de l’école de médecine de Toulouse.

Désormais infirme, Antoine Reine est contraint de renoncer à ses fonctions d’exécuteur-adjoint. En juin 1817, sans ressources, sans emploi, il écrit au ministère de la justice pour réclamer un secours alimentaire. (3)
L’achèvement prématuré de sa carrière d’exécuteur l’oblige à quitter Toulouse pour regagner sa Lorraine natale. Il s’installe d’abord chez ses parents, à Saint-Mihiel, dans la Meuse, et travaille avec son père comme bourrelier. Le 9 mars 1819, il épouse à Verdun Marie-Joseph Viard, issue d’une famille d’équarisseurs- maîtres des basses œuvres apparentée aux bourreaux de cette ville. Le couple s’établit à Varennes-en-Argonne où, en l’espace de vingt ans, naîtront leurs douze enfants. Antoine Reine n’a, pour faire vivre sa famille, qu’un secours annuel comme exécuteur sans emploi et les modestes revenus que lui procurent ses activités d’équarisseur. Il meurt à Varennes le 13 juillet 1844. Comme veuve d’un ancien exécuteur des sentences criminelles, Marie-Joseph Viard continuera à bénéficier d’un secours alimentaire de 300 puis 450 francs (4), jusqu’à son décès survenu le 11 mars 1885.

(1) L’autre adjoint pourrait être Pierre Rigal, décédé en 1817, ou l’un des trois fils de Jean-François Guerchoux.
(2) Archives Nationales, BB 3 216.
(3) Ibidem
(4) Archives départementales de la Meuse, 1 U 9.

17 janvier 2010

De la difficulté de trouver un bon exécuteur en Auvergne


Nommé intendant d’Auvergne en décembre 1684, Pierre de Bérulle (1) arrive dans cette province avec l’intention d’y remettre de l’ordre. Stupéfait, il découvre notamment que la justice s’est singulièrement relâchée. Cent-vingt meurtres ont été commis en quatre ans. Pas un n’a été puni ! « On manque de juges dans la montagne » constate-t-il en citant l’exemple du bailliage de Saint-Flour où, faute de magistrats, les jugements se sont plus rendus. Ailleurs, un nommé Balthazar, « conseiller ruiné qui n’a que sa charge pour tout bien » dirige seul le bailliage, le lieutenant général « est à Paris depuis sept ans ! et n’exerce pas ses fonctions.»

Pour mettre un terme à cette criminalité, Bérulle lança dans toutes les directions ses hoquetons (2) et sa maréchaussée. En quelques mois il parvient à purger les montagnes, remplit les prisons et fait tomber quelques têtes pour l’exemple. (3) Le 6 mars 1686 il écrit au contrôleur général : « Nos prisons sont pleines de scélérats et de faussaires; il y en a cinquante-huit dans celles de Riom et plus de cinquante dans celles de Clermont. Il ne se passe point de semaine que nous ne donnions des exemples au public par l'exécution de quelqu'un de ces misérables.» (4)

Mais pour exécuter les sentences l’intendant a besoin d’un bon bourreau. Il renvoie l’ancien exécuteur de Riom, qui s’est montré particulièrement maladroit, et fait venir un maître expérimenté. Il s’agit de Georges Brunet, âgé de trente-trois ans, bourreau de Nevers. Comment l’a-t-il persuadé de quitter la capitale du Nivernais, où il exerce depuis une dizaine d’années, pour les montagnes d’Auvergne ? On l’ignore. Brunet est natif de Riom, ce qui facilite sans doute sa connaissance du pays. Marié à deux reprises, père de six enfants (qu’il laisse avec son épouse en Bourgogne) c’est dans doute l’appât d’un bon salaire qui l’a déterminé à accepter ce poste.

Dès son arrivée à Riom, Georges Brunet se met immédiatement au travail. Conscient qu’on ne saurait se passer de ses services, il en profite pour avancer ses exigences. Voici ce que l’intendant Bérulle écrit au contrôleur général, à son sujet, le 25 avril 1686 : "Nous avons fait venir de Nevers un exécuteur: c'est un ouvrier nécessaire en ce pays, et, comme il est habile, il veut qu'on le loge; nous n'avons pu trouver dans la ville aucune maison qu'on voulust luy louer; il menace de nous quitter. Il ne se trouve que cette maison que louoient les trésoriers de France, dont on puisse se servir; il y faut pour une cinquantaine d'écus de réparations. Je vous prie de me mander si vous trouvez bon qu'on prenne ladite maison et que j'y fasse les réparations nécessaires, ou aux dépens de ceux qui en ont joui, ou aux dépens du domaine. Cet officier est extrêmement nécessaire par l'occupation qu'on lui donne journellement, et l'on a de la peine d'en trouver qui sachent leur mestier. Un Père de l'Oratoire, assistant à la roue un criminel, pensa estre tué à coups de pierres à cause de l'ignorance de l'ancien exécuteur, qui donna plus de cent coups à ce misérable, qui languit très longtemps sans pouvoir mourir. L'on se servit, il ya quelques jours, d'une charrette et d'un cheval qu'on trouva dans la ville, pour porter aux fourches le corps d'un criminel le maistre n'a plus voulu s'en servir, et en demande le payement, qui est de 40 ou 50 [livres]. L'on a donné, sous vostre bon plaisir, cet équipage à nostre nouvel officier, qui n'en avoit point, et j'en ordonneray le payement sur le domaine, si vous le jugez à propos." (5)

Le nouveau bourreau de Riom n’exerça que pendant un an ou deux seulement. Il est encore en Auvergne le 30 janvier 1687, date à laquelle son épouse, Marguerite, revend aux Carmélites de Nevers une chambre basse située rue du puits de Saint-Trohé, dans cette ville. L’acte précise que son mari, Georges Brunet, est « exécuteur de la haute justice de la ville de Riom en Auvergne. » Toutefois, le 26 février 1688 son dernier fils, Georges, est baptisé paroisse Saint Trohé, à Nevers. Est-il déjà rentré en Bourgogne ? Le 16 mai suivant, l’exécuteur de la haute justice de Riom – dont le nom n’est pas précisé – demande à la ville « de prélever, ainsi qu'il s'est toujours fait, un droit sur les denrées, sans quoi il sera contraint de se retirer » (6) Ce que les consuls acceptent en convertissant ce prélèvement en un salaire annuel. Ultime tentative de Georges Brunet pour accroitre son traitement ? Ce qui est certain, c’est qu’il retourna en Bourgogne peu de temps après. Il reprit son poste de bourreau de Nevers et l’occupa jusqu’à son décès, en 1709.

(1) Pierre, marquis de Bérulle, vicomte de Guyencourt, conseiller du roi et maître des requêtes. Il fut intendant en Auvergne (décembre 1684-août 1687), à Lyon (août 1687-octobre 1694) puis premier président du Parlement de Dauphiné et commandant de la province. Il mourut en 1723.
(2) Corps spécial formant la garde particulière de l’intendant.
(3) Charles Felgères, Scènes et tableaux de l’histoire d’Auvergne, Paris, Le livre d’histoire, 2005, p. 319.
(4) A.M. de Boislisle, Correspondance des contrôleurs généraux de finances avec les intendants des provinces, tome 1 (1683 à 1699), Paris, Imprimerie Nationale, 1874, n°245 p.63.
(5) idem, n°269 p.69.
(6) Archives municipales de Riom, BB 90, f°11
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7 janvier 2010

La guillotine et les bourreaux de Draguignan


Dans le Bulletin de la Société d’Etudes Scientifiques et Archéologiques de Draguignan et du Var, qui vient de paraître, avec notre ami Pierre Jean Gayrard nous avons eu le plaisir de signer une étude consacrée à la guillotine et aux bourreaux de Draguignan (1). Celle-ci fait suite à un précédent article publié dans ce même bulletin, l’année dernière. Depuis son arrivée dans cette ville, en 1798, la guillotine avait été remisée dans un hangar situé sur l’emplacement de l’ancienne glacière. Elle était montée sur roues et, à chaque exécution, par deux rails on la faisait glisser jusqu’au milieu d’une plate-forme où avait lieu le supplice. Plusieurs rapports d’inspection, retrouvés dans les archives, permettent de connaître les détails et le fonctionnement de cette machine. Soit par l’impéritie de certains exécuteurs, soit par la mauvaise qualité du matériel (à Toulon, l’échafaud était monté sur des tonneaux) elle ne fonctionna pas toujours parfaitement et plusieurs incidents furent à déplorer.
La seconde partie de l’article est consacrée aux bourreaux qui ont successivement exercé à Draguignan au XIXème siècle. Chacun d’entre eux fait l’objet d’une biographie particulière. Ce sont, dans l’ordre, Joseph Cheilan, Jean Wolff, Matthieu Burckhard, François-Joseph Heidenreich, Jean-François Heidenreich, Nicolas Chtarque, Laurent Bornacini et Jean Peyrussan.

(1) Jean-Jacques Jouve et Pierre Jean Gayrard, Draguignan, la guillotine et le bourreau. Les condamnations à la peine capitale dans le Var, XVIIIe – XXe siècle. Un supplément d’information. Bulletin de la Société d’Etudes Scientifiques et Archéologiques de Draguignan et du Var, Tome XLVII, Nouvelle série, Année 2009, pp. 115-123.

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