30 juillet 2009

Les dépenses du bourreau


Un mémoire autographe sans date (seconde moitié du XVIIIème) énumère quelques unes des dépenses du bourreau de Paris. On notera l’attention qui est portée à des ustensiles aussi précieux que l’épée pour décapiter (le damas), la barre pour rompre mais aussi à des matériaux plus ordinaires, comme les cordes, qu’il faut changer régulièrement. Enfin, l’exécuteur loge les confrères de passage dans la capitale, venus l’assister.

"Mémoire de ce quy est dut a lexecuteur pour avoir my a execution l'arest de la cour qui condamne un particulier a estre pendue a Monmartre, préalablement appliqué à la question.

Savoir :
Pour s'estre transporté au dit Monmartre avec deux hommes et y avoir passé la journée entière 30 liv.
Pour la voiture et deux chevaux 15
Plus pour avoir présenté le dit particulier à la question 15
Plus pour l'avoir pendu. 30
Plus pour avoir porté au lieu de la sépulture le cadavre après l'exécution 30


Total 120 liv.

NOTES A JOINDRE AU TARIFFE DES EXECUTIONS.

Teste tranchée à 100 liv.
L'on cour risque de cassé le damas dont la lamme couste 500 liv. Si elle s'ébreche la réparation est de 24 liv. Et pour l'entretien et repassage 6 liv. par année. Ainsi cette somme est très modique, vues les raisons ci-dessus.
Brûlé à. 50 liv.
La depences en cordes, cros, perche, pelles et autres hustencille nécessaire, ce monte à 20 ou 25 l.
Les roués à 50 liv.
On cour risque de cassé la barre, ce quy est arrivé plusieurs fois. En ce cas, c'est 18 liv. de frais; en outre comme lon ce serre d'un moulinet, et que la corde passe a travers le plancher de l'echafaut cela les coupes. Et il en a été cassé pour 40 liv. dans une exécution à la place Saint Michelle.
Pendu à 25 liv.
Sy les cordes casse, chaque corde couste six livres. En outre elles ne peuve jamais servire que deux fois à l'exécuteur.
Pour ce qui est des autres justices il y a toujours quelque frais à faire qui val lun dans l'autre à 3 ou 6 liv.
En outre tous les jours employé aux grande justice, il en couste à l'exécuteur 10 ou 12 liv. de frais, pour la norriture, celle des domestiques et du cheval.
Il est obligé d'avoir toujours ce qui serve aux justices en provisions, pour n'aporté aucun retard à repondres aux ordres sans delay, ce qui tient des fond considérable sans aucun profit. En outre il est obligé d'ebergé ces confraire hors de leur séjour a Paris, sans quoy il ne les trouveret point dans les car d'heur pressants, ou il est obligé de repondre a plusieur jurridiction à la fois, et il na dautre ressource puisquil n'y a personne a employer pour cela, hors de cette vacation. Il y a mil autre petit détaille, au quels il faudret un volume pour en faire l'explication, mais la lumière des magistras doive les pénétrer sans paine.
"

Edmond Jean François Barbier, Chronique de la régence et du règne de Louis XV (1718-1763), Huitième et dernière série, Paris, Charpentier, 1857, pp. 418-419.

27 juillet 2009

Jean Camille, l’exécuteur exécuté


L’histoire de la fin tragique de Jean Camille, exécuteur de Perpignan à la fin du XVIIIème siècle, mérite d’être contée. Elle illustre les hostilités et parfois les haines auxquelles les maîtres des hautes œuvres de l’ancien régime étaient, plus souvent que d’autres, confrontés. Quand une querelle dégénère, que le bourreau se retrouve meurtrier, puis condamné, la farce vire au drame, l’exécuteur devient l’exécuté.
En mai 1782, Jean Camille, fils d’un exécuteur aussi prénommé Jean (1), est recruté par la ville de Perpignan pour remplacer Claude Thouvenin, bourreau en exercice, tombé malade (2). Appelé pour procéder à l’exécution d’un brossier de Codalet, condamné à mort pour « avoir jetté avec dessein, de la fenêtre de sa maison, une grosse pierre sur la tête de sa belle mère », il s’acquitte sans difficultés de cette tâche le 3 juin, gagnant ainsi définitivement cet office.
Au cours des années suivantes, Jean Camille mènera l’existence d’un paisible exécuteur de justice, alternant les terribles devoirs de sa charge avec une pratique partagée par presque tous ses confrères : le métier de guérisseur. Pour ce qui est des exécutions, il pend une voleuse nommée Rose Riufitte, durant l’hiver 1783, Gabriel D… en 1785, trois espagnols en février 1786, ainsi qu’un habitant de Prats-de-Mollo, en février 1789. Quant à ses activités « médicales », l’efficacité de ses traitements jouit d’une excellente réputation qui dépasse largement les limites de Perpignan. On vient se faire soigner chez lui de Collioure, d'Argelès ou de Corneilla-de-la-Rivière.
Il ne nous a pas été permis d’avancer plus avant dans la vie de Jean Camille, pour mieux comprendre cette sorte de Janus, alternant tortures aux uns, apaisements aux autres, donnant la mort ici, rendant la vie ailleurs. De même qu’il est difficile de savoir, par quels obscurs cheminements, la haine de certains de ses voisins a conduit au drame qui éclate dans les premiers jours de septembre de l’année 1790.
Le dossier des interrogatoires des témoins fournit deux versions totalement divergentes des événements. (3)
Selon les témoignages de quatre personnes, toutes hostiles à Jean Camille, celui-ci aurait eu une légère altercation avec des voisins. Dans un accès incompréhensible de fureur, le bourreau se serait alors précipité sur l’un d’eux, le brassier Joseph Portariès, et l’aurait poignardé. Il se serait ensuite enfui, un poignard ensanglanté à la main.
Un autre groupe de témoins, plus nombreux, donnent une version toute différente. Selon eux, un véritable complot aurait été fomenté pour se débarrasser de Jean Camille. On l’aurait insulté, menacé puis on aurait tiré sur lui avec un pistolet. Et c’est précisément au moment où ses adversaires tentaient de le lapider qu’il aurait donné ce coup de poignard pour se dégager.
Dans ces conditions, il est bien difficile de savoir si Camille a agi en état de légitime défense ou dominé par un sentiment de folie meurtrière.
Selon de nombreux témoignages qui ne sont guère contestables, il est évident que les témoins de l’accusation ont tous des raisons personnelles d’en vouloir au bourreau. Le brassier Pujol, repris de justice de soixante-dix ans, a deux filles dites « faldilletes » (jupettes) : l'une d'elle a été employée chez Camille et a peut-être eu avec lui des rapports plus intimes que ceux de maître à servante. Dix-huit mois avant le drame Pujol proclamait déjà son intention de tuer son voisin avec une arme de sa fabrication, « un bâton dans lequel il y a, à la pomme, un clou fort pointu ». La victime elle-même, Joseph Portariès, avait la réputation d’être un bagarreur. Ses rapports avec l’exécuteur étaient très ambigus. Tandis que plusieurs témoins affirment l’avoir entendu dire que « Jean Camille lui avait prêté de l'argent et habillé ses enfants l'année du mauvais hiver », d’autres rapportent qu’il leur aurait confié : « Nous sommes deux ou trois et si nous pouvons trouver l'occasion de nous défaire de Jean Camille, nous ne l'épargnerons pas parce qu'il a une femme chez lui contre laquelle nous avons un peu d'animosité ».
Comme on le voit, les ressentiments à l’égard du bourreau, surtout nourris par le clan Pujol et Portariès, puisaient leurs sources dans d’obscures querelles de voisinages mêlées à l’ostracisme habituel qui entourait les gens de son métier.

D’un autre côté, pas moins de quinze témoins à décharge vont se succéder pour apporter leur soutien à Camille, souvent venus de loin et tous d’anciens clients reconnaissants.
Jean Pons, domestique arrivé du Languedoc, explique qu'il a effectué des démarches pour Camille et qu'il lui a rendu visite en prison « en reconnaissance du soulagement qu'il avait porté à ses souffrances quoique en payant... souffrant de douleurs à sa mamelle gauche, il a été chez Camille qui lui a appliqué des remèdes qui l'ont beaucoup soulagé... »
Joseph Pelras, de Corneilla-de-la-Rivière, est allé le voir « pour se faire appliquer quelques remèdes à la cuisse gauche où il avait des douleurs... », mais il n'a rien vu le jour du drame car il était en cure aux Bains d'Arles.
Honoré Py, pêcheur de Collioure : « Il y a environ deux ans et demi qu'il avait une douleur d'estomac et un feu continu pour le soulagement duquel les médecins et chirurgiens de Collioure ne trouvèrent point de remède, qu'instruit que Jean Camille pouvait lui donner quelque secours lui exposa les douleurs qu'il souffrait et Camille lui donna des remèdes qui le soulagèrent insensiblement et au moyen desquels il a été guéri, qu'à cet effet il est venu 22 fois pendant l'espace d'une année et à l'exception d'un jour que lui témoin donna à Camille un petit écu mais que les autres jours qu'il y est venu, il lui a apporté du poisson l'ont mangé ensembles ».
Même si ces récits doivent être accueillis avec prudence, il n’en demeure pas moins que l’exécuteur-guérisseur de Perpignan semblait pratiquer son art avec un certain succès. Loin de la caricature du bourreau patibulaire, il apparaît sous les traits d’un individu bienveillant, dévoué et même, selon les circonstances, désintéressé.

Mais ce qui étonne le plus dans cette affaire, c’est l’incroyable partialité dont vont faire preuve les magistrats chargés de son instruction. D’emblée, Jean Camille est chargé de tous les torts. Ayant survécu à une lapidation en règle, il apparait, dès l’ouverture de l’enquête, qu’il ne pourra échapper au châtiment suprême, d’ores et déjà désigné comme victime expiatoire d’une société en pleine révolution. On veut aller vite, on veut frapper fort. Les témoins de la défense sont systématiquement déstabilisés, accusés d’être subornés, alliés ou débiteurs du bourreau. Le magistrat instructeur s’évertue de semer le doute dans les esprits, ajoutant à la confusion générale. Les témoignages qui pourraient se révéler capitaux sont écartés. Portariès, agonisant sur son lit de mort, aurait admis devant plusieurs témoins avoir jeté une pierre sur Camille, juste avant leur empoignade. Oublié. Le curé Vassal, notoirement connu de tout Perpignan, présent sur les lieux du drame, oublié aussi. Dans ces conditions, rien ni personne ne peut plus sauver le bourreau-guérisseur. L’instruction menée à charge est rapidement bouclée et transmise aux magistrats du siège. Le 20 septembre 1790, soit dix-sept jours seulement après le drame, ceux-ci condamnent Jean Camille à être pendu.

Cependant, la peine ne fut pas immédiatement appliquée. D’abord, parce qu’il fallait bien trouver un remplaçant au bourreau (4), ensuite parce qu’en cet automne 1790 les magistrats de Perpignan n’avaient pas respecté la nouvelle procédure criminelle instituée par la République. Aucun avocat, par exemple, n’avait été désigné pour assurer la défense de l’accusé. Le dossier fut récupéré par le tribunal du district qui ouvrit un nouveau procès en 1791. Tous les éléments étant défavorables à l’exécuteur, sa condamnation à mort fut confirmée le 12 juillet 1791 et exécutée le jour même. Jean Camille fut conduit sur la place de la Loge, là où pendant des années il avait lui-même procédé à l’exécution des condamnés. L’histoire ne dit pas si son successeur, Bernardin Blaise, venu de Romans au printemps 1791, éprouva quelques émotions à expédier dans l’éternité un de ses confrères. Ce fut la dernière fois qu’on fit l’usage d’une potence à Perpignan. C’est un peu comme si ce triste symbole de la justice de l’ancien régime disparaissait avec lui.

(1) Emile Desplanques, Les infâmes dans l’ancien droit roussillonnais, Société Agricole, Scientifique et Littéraire des Pyrénées-Orientales, tome 32, 1893, p. 512.
(2) Thouvenin décédera peu après, le 15 juillet 1782, âgé de 36 ans.
(3) Les principaux détails de cette affaire ont été publiés par Michel Brunet, Contrebandiers mutins fiers-à-bras, Les stratégies de la violence en pays catalan au XVIIIe siècle, Canet, Editions Trabucaire, 2001, pp.195-197.

(4) Voir article du 19 mai 2009 : Les obligations du bourreau de Perpignan en 1790.

22 juillet 2009

La guillotine à Rouen sous le consulat


En 1802, sir John Carr, un voyageur anglais, découvre la France, la Normandie et... la guillotine. Voici le récit d’une exécution dont il fut le témoin à Rouen (1) :

« En traversant la place du Marché, je vis conduire à l'échafaud un misérable que j'avais vu condamner le matin. Il était assis sur une charrette, en chemise, dont le collet était renversé, les bras liés derrière le dos, les cheveux coupés courts, pour qu'il n'y eût aucun obstacle au choc du couperet fatal; un prêtre était placé sur une chaise près de lui. Ce triste et pénible spectacle semblait causer peu d'émotion dans le marché, dont le trafic continuait avec son activité ordinaire; les femmes, devant leurs éventaires, qui s'étendaient jusqu'au pied de l'échafaud, ne paraissaient préoccupées, pendant la terrible cérémonie, que du souci de vendre leurs légumes le plus cher possible. Un détachement de garde nationale, quelques gamins, quelques flâneurs entouraient l'échafaud, de cinq pieds de haut, sur lequel était dressée la guillotine. Aussitôt que le condamné l'eut gravi, il fut placé, par ordre du bourreau (2), sur une planche faite comme un volet; il y fut attaché, puis mis à plat, et son cou fut introduit dans un cercle de fer dont la partie supérieure fut rabattue sur lui; un rideau de cuir noir recouvrit sa tête, au-dessous de laquelle un entonnoir communiquait avec un tube destiné à faire couler le sang sous l'échafaud. Le bourreau tira alors une longue et mince cordelette de fer communiquant avec la partie supérieure de l'instrument, et en un clin d'œil une lourde hache, en forme de triangle, tomba. Le bourreau et ses aides placèrent alors le corps dans un cercueil à demi rempli de son et presque entièrement taché de sang provenant des exécutions précédentes; ils y joignirent la tête qui avait été recueillie derrière le rideau dans un sac, et remirent le tout aux fossoyeurs, qui l'emportèrent au cimetière.
La rapidité de ce mode d'exécution peut seule le recommander. En Angleterre, les criminels condamnés à la potence se tordent dans les convulsions de la mort pendant une période de temps qui fait frémir... La guillotine est très préférable au sauvage supplice, autrefois en usage en France, où l'on brisait les membres du criminel pour le laisser expirer sur la roue, dans l'agonie la plus poignante.»

(1) Les anglais en France après la paix d’Amiens, impressions de voyage de Sir John Carr (Etudes et traduction d’Albert Babeau), Paris, Plon, 1898, pp.127-129.
(2) A cette époque le bourreau de Rouen était Charles-André-Louis Ferey (1762-1811). Il occupa ces fonctions de 1796 jusqu’à son décès, en 1811. Il habitait 11 rue de la Truie.


21 juillet 2009

Une exécution ordinaire


Les archives judiciaires de l'ancien régime constituent une source majeure pour qui s'intéresse aux histoires criminelles du passé. On peut y trouver notamment des récits d'exécutions plus ou moins détaillés. Voici un document inédit (1), pas forcément spectaculaire, mais qui comporte quelques petits détails susceptibles de nous aider à mieux connaître le mode opératoire des bourreaux d'autrefois.
Le condamné se nomme Michel-Daniel-Henri de Ruxton. Il est irlandais et premier lieutenant "à la charge de capitaine en second" dans le régiment de Saxe Infanterie. Le 9 septembre 1754, ayant rencontré par hasard Pierre-Philippe Andrieux, écuyer, seigneur de Maucreux (2), avec qui il a été en procès, il l'a aussitôt mis en joue et lui a fait sauter la cervelle d'un coup de fusil. Jugé deux mois après, il a été condamné à être roué vif en place de Grève. Sentence confirmée le 26 novembre 1754 et exécutoire dès le lendemain.
Ainsi, le mercredi 27, à trois heures et demie de l'après midi, l'irlandais arrive en Grève tenu, par le bras droit, par le bourreau, accompagné de l'autre côté par un confesseur. Il porte un habit vert avec un bonnet de laine qui lui couvre les yeux. A cette époque il est courant que les condamnés aient le visage dissimulé en public de façon à ce que leur anonymat soit préservé. Selon la procédure, il se rend d'abord à l'hôtel de ville pour d'éventuelles et ultimes révélations. Ce qui dans le cas de Ruxton paraît superflu. Il y reste quand même une demi-heure avant de monter sur l'échafaud. Là, l'exécuteur l'attache sur une croix de Saint-André "après qu'on lui eut couvert les yeux avec sa veste". On lui passe ensuite une corde autour du cou avec laquelle, suivant le rétentum de l'arrêt, on pourra discrètement l'étrangler. Pour sa part, le confesseur se tient à l'écart, sur un coin du plancher. Au premier coup de barre un valet du bourreau, placé sous l'échafaud, actionne le moulinet du garrot et instantanément le supplicié suffoque "en sorte qu'il n'y eut plus en luy que l'animal qui dut souffrir". L'exécuteur peut alors abattre sa lourde barre de fer et briser systématiquement tous les membres du condamné. Pendant toute la durée de cette opération qui dure pendant près de trente minutes, "l'exécuteur mit plus de 20 fois la main sur le cœur du patient pour voir s'il avait encore quelque signe de vie." En lisant ces précisions on réalise que, contrairement à ce que l'on a souvent écrit sur le supplice de la roue, le condamné qui bénéficie d'un rétentum ne meurt pas immédiatement suite à son étranglement. Il est plongé dans une sorte de coma qui lui évite la douleur physique et ne succombe que sous les coups. Quand le bourreau constate que Ruxton est bien mort il en avertit son confesseur qui se retire à l'hôtel de ville. Enfin, le cadavre est détaché et placé sur une roue où il reste exposé pendant environ une demi-heure.

On trouve la narration de cette affaire dans le journal de Barbier, qui ne s'étend pas sur les particularités de l'exécution :
"Mercredi 27 novembre, on a rompu vif, en exécution de l'arrêt de la veille, les Grand'chambre et Tournelles assemblées, le sieur Henry Ruxton, gentilhomme irlandois, âgé de vingt-trois ans, bel homme et bien fait, né, dit-on, à Saint-Germain-en-Laye, pour l'assassinat prémédité par lui, commis le 9 septembre dernier, de M. Andrieux, avocat au Parlement, qui étoit sorti de l'échevinage au mois d'août […] On comptoit assez qu'il ne seroit peut-être que décollé, parce qu'il n'y avoit point de vol […]; c'étoit d'ailleurs un fort mauvais sujet, et le crime paru si noir, qu'au contentement du public, la sentence du Châtelet a été exécutée et confirmée, et le Parlement n'y a pas perdu de temps. On dit cependant qu'il a été étranglé sur l'échafaud aussitôt les coups. Il a paru mourir en repentant et bon chrétien." (3)

(1) Archives Nationales, AD III 8, pièce 99.
(2) commune de Faverolles, dans l'Aisne.
(3) Chronique de la régence et du règne de Louis XV ou journal de Barbier, sixième série (1754-1757), Paris, Charpentier, 1866, pp. 72-75.
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19 juillet 2009

Delphin Beynet, bourreau et dandy


Aide-exécuteur et fils d’exécuteur, Delphin Beynet n’aurait sans doute jamais attiré notre attention si, en 1833, il n’avait été poursuivi pour port illégal de décoration. A la lecture du compte rendu de son procès on découvre un personnage atypique, élégant, désinvolte, mêlant humour et ironie, très loin de l’image du bourreau patibulaire et inculte que la littérature du XIXe siècle a largement popularisée.
Aîné d’une famille de trois enfants, Louis Marie Delphin Benoist dit Beynet est né le 10 décembre 1806 à Poitiers. Son père, Joseph Martin Benoist qui préférait se faire appeler Beynet (1), avait été temporairement bourreau de Brive avant la révolution, étudiant à Chalon sur Saône, puis successivement aide exécuteur à Cahors, Gap, Limoges, Auxerre, avant d’être nommé bourreau de Poitiers en 1806. Marié à Marie-Eugénie Berthelot, fille d’un aide-exécuteur qui était aussi vigneron, Joseph-Martin Beynet mourut prématurément dans sa maison du château d’Auxances (2), le 16 mai 1811. Cinq ans plus tard, sa veuve se remaria avec Louis-François-Gabriel Deville, exécuteur de Périgueux de 1827-1837, à qui elle donna trois autres enfants.
Delphin Beynet n’eut apparemment pas d’autre choix que de poursuivre la carrière familiale. Dès l’âge de douze ans, on le retrouve comme aide exécuteur à Poitiers, sous les ordres de Pierre-Nicolas Berthelot, son oncle maternel. Quelques années plus tard, il devient l’adjoint de son beau-père, Louis-François Deville, bourreau de Périgueux. C’est dans cette ville, en 1833, qu’il est jugé pour avoir arboré irrégulièrement la « croix de juillet ». Voici le compte-rendu de son procès (3) :

« Delphin Beynet, aide-exécuteur des arrêts criminels à Périgueux, a comparu devant le tribunal correctionnel de cette ville, comme prévenu d'avoir porté la croix de juillet sans autorisation. Le prévenu est âgé de vingt-cinq ans; il porte un pantalon blanc et un habit bleu à boutons de métal; sa cravate mise artistement; sa mise, sa pose et ses manières sont celles de nos fashionables outrés, il s'énonce avec facilité.
M. le président : Comment vous appelez-vous ?
R. : Delphin Beynet.
D. : Quelle est votre profession ?
R. : Artiste dramatique. (Mouvement dans l’assemblée)
Le président : Vous êtes prévenu d'avoir indûment porté la décoration de juillet ?
R. : Le fait est vrai, M. le président mais je vais vous expliquer par quelle circonstance. Je jouais le mélodrame à la Porte Saint-Martin; ayant été chargé d'un rôle dans lequel je figurais avec une décoration de juillet, j'ai oublié de l’enlever de mon habit. Voila pourquoi, M. le président, on m'a vu dans les rues de Périgueux, porteur de cette décoration.
M. Delisle, procureur du Roi : Cette version, Monsieur, est assez bien imaginée; mais elle est d'autant plus extraordinaire dans votre bouche qu'elle est entièrement en opposition avec les réponses que vous avez faites à M. le commissaire de police qui a verbalisé contre vous. Vous lui avez répondu, en effet, que vous aviez été autorisé verbalement par le ministre, à porter cette décoration, et cela, le 16 août 1830, époque à laquelle elle n'existait pas.
Beynet : Je n'ai point répondu cela
M. le substitut : Mais, Monsieur, j'ai dans les mains une lettre écrite par vous à M. le garde-des-sceaux, pour réclamer contre les poursuites dont vous êtes l'objet, dans laquelle; vous vous appuyez de la même autorisation verbale, et demandez un titre définitif.
Beynet : On a peut-être contrefait ma signature.
M. le substitut : Voyez vous-même la pièce.
Beynet (regardant la signature) : Sur l'honneur, c'est la mienne !
M. le substitut : Vous reconnaissez donc que vous êtes en pleine contradiction avec vous-même ?
Beynet : Plus de détours, Messieurs. La décoration de la légion d'Honneur était « ensanglantée », celle de juillet est pure, c'est celle des « républicains ». Républicain moi-même, j'ai cru pouvoir m'en parer !...
Ici, M. le procureur du Roi ne peut plus contenir son indignation. Il s'élève avec force contre le prévenu, qui, non content d'avoir profané une décoration, prix du sang et du courage, insulte encore à la société par son audace et son effronterie. Il lui demande comment, placé au dernier degré de l'échelle sociale par le ministère qu'il exerce à Périgueux même, il ne se condamne pas à l'obscurité et à l'oubli, plutôt que de chercher à attirer sur lui les regards par ses actes, par le luxe et le faste de sa toilette. « Vous devriez, lui dit-il, tâcher de faire oublier, par l'humilité de votre conduite, que vous êtes
le valet de bourreau. »
Beynet se lève avec vivacité pour répondre.
M. le substitut, après lui avoir dit de se rasseoir et lui avoir fait observer qu’il n'avait point encore la parole, poursuit son réquisitoire, et conclut à ce que te tribunal le condamne au « maximum » de la peine.
M. le président : Beynet, avez-vous quelque chose à ajouter à votre défense ?
Beynet : Non, Monsieur; qu'on m'applique la loi !
Après quelques minutes de délibération, le tribunal condamne Beynet à un an de prison.
Beynet : Quel délai m'accorde-t-on pour me constituer prisonnier ?
M. le président : On ne vous en fixe point; mais vous ferez bien d'exécuter votre jugement le plus tôt possible.
Beynet sort de la salle, sans que le mécontentement soit peint sur sa figure. Arrivé au milieu de l'escalier, il en saute les degrés avec l'agilité d'un danseur, puis sort en fredonnant :

Tous les rois sont des tyrans,
Philippe a trahi ses sermens.
Vive la république ! »


Delphin Beynet a-t-il purgé sa peine ? Nous n’en avons aucune preuve. Toujours est-il qu’il disparaît pendant plusieurs années après cette affaire. Il réapparaît à Paris, en 1842, comme aide d’Henry Clément Sanson. Deux ans plus tard, il est nommé bourreau d’Evreux, en remplacement d’Armand Leroy. Mais pour un motif que nous ignorons il est très vite remplacé, dans ces fonctions, par Raymond Peyrussan. Michel Demorest, qui lui a consacré une petite notice, conclut celle-ci par une phrase énigmatique : « De retour dans la capitale, il perdit le morceau de Paris qu'il tenait, par la méchanceté de Sanson avec qui il ne voulait pas partager les sales passions (1847). » (4)
On perd ensuite définitivement sa trace.

(1) Il se disait fils de François Beynet, bourreau de Brive.
(2) Migné-Auxances, au Nord de Poitiers, dans la Vienne.
(3) Journal des débats du 5 septembre 1833.
(4) Michel et Danielle Demorest, Dictionnaire Historique et Anecdotique des Bourreaux, Maisons-Alfort, 1996, p. 24.