13 juin 2009

Le supplice de la chaudière


En France, pendant des siècles, la justice a réservé un châtiment terrible aux faux monnayeurs : le supplice de la chaudière. En effet, un règlement en usage dans tout le royaume stipulait que les faussaires fussent « suffoqués et bouillis en eau et huile ».
Il est difficile de dater avec précision l’apparition de cette peine si singulière, attestée cependant dès le XIIème siècle. Vers cette époque, les chroniques rapportent que Baudouin à la Hache, comte de Flandre, fit jeter deux faux monnayeurs dans la chaudière bouillante d’un teinturier. En 1299, un compte de la Sénéchaussée d’Auvergne fait mention, dans ses recettes, « des biens d’un faux monnayeur naguère bouilli dans la prévôté de Riom » (1) et, la même année, un compte du bailliage de Vermandois fait état des biens, vendus à Roye, de « Baudoin l’Orfèvre, bouilli et pendu pour faux-monnayage » (2). Ce qui indique que cette implacable punition était déjà largement appliquée en France. En 1305, toujours dans les comptes du bailliage de Vermandois, on note une dépense de 100 sous « Pour une marmite achetée afin de bouillir les faux monnayeurs à Montdidier ». Paris n’est pas en reste. Un compte de la capitale, pour l’année 1311, enregistre un versement de 27 livres 4 sous à maître Henri, le bourreau, pour avoir fait bouillir des faux monnayeurs et l’engagement de 38 sous pour « réparation à la chaudière et pour y avoir posé des barres de fer. »

Cent ans plus tard, l’exécuteur de Paris continuait toujours à être chargé de cette étrange cuisine judiciaire. Voici, d’après un compte de l’Ordinaire de Paris de l’année 1417, le genre de dépenses que ce supplice pouvait occasionner : « A Estienne le Bré, maître de la haulte justice du roi. notre sire, 12 sols pour trois maçons et leurs aides, qui firent le trépié pour asseoir la chaudière où furent bouillus trois faux monnoyeurs; item, 4 sols parisis pour quatre sacs de plâtre à faire ledit trépié 4 sols pour celuy qui blanchit ledit trépié avant que lesdits maçons y voulussent ouvrer; 20 sols pour un cent et demi de cotrets et un demi-cent de bourrées, qui furent arses (brûlés) ledit jour pour faire bouillir l'eau en la chaudière; 8 sols parisis pour une queue et deux muids où fut mise l'eau, lesquels, la nuit que la justice fut faite, furent mal pris et emblés (volés); 3 sols pour une queue d'eau de quoi furent bouillus iceux faux monnoyeurs. » (3)

Le 18 décembre 1455, à Dijon, sur la place du Morimont, on exécuta trois brigands qui avaient mis en circulation de faux florins. Le bourreau de la ville, Signart, prit une vaste chaudière de cuivre qu’il emplit d’eau, y ajouta quelques pots d’huile et, lorsque ce mélange fut arrivé à ébullition, s’empara des patients qu’il jeta, l’un après l’autre, dans le chaudron.(4)

Le lundi 10 février 1487, les choses ne se passèrent pas aussi facilement pour son confrère de Tours. Ce jour là, à son de trompe, on avait convoqué tous les habitants de la ville pour assister à l’exécution de Louis Secrétain, orfèvre, condamné « à estre bouilly, trayné et pendu pour avoir forgé faulse monnoye ». Une foule très importante était réunie sur la place « foire-le-Roy », autour d’une chaudière remplie d’eau bouillante posée sur un grand feu. Après lui avoir lié les pieds et les mains, le bourreau précipita le faussaire, la tête la première, dans le récipient. Celui-ci n’y demeura que quelques instants car, ses liens s’étant rompus, il se redressa tout droit criant « Jésus ! Miséricorde ! » Le public, révolté, se mit à huer le bourreau : « Tuez le ribaud, tuez le traître » « bourreau, tu faiz languir ce povre pescheur ». Affolé, l’exécuteur s’arma d’un grand croc de fer pour essayer de replonger Secrétain au fond de la marmite. Les spectateurs s’étaient rapprochés, criant au miracle. Le bourreau tenta de s’échapper mais tomba criblé de coups. On vit des bourgeois le frapper avec des fourches et même une jeune fille de dix-huit ans lui asséner sur la tête des grands coups de bûche. Alors qu’il rendait l’âme, sa victime, à demi-cuite, fut emmenée en sûreté dans l’église des Jacobins. Un an plus tard, Charles VIII accorda sa grâce à Louis Secrétain ainsi qu’à tous ceux qui avaient pris part au meurtre du bourreau (5).

Durant tout le XVIème siècle, on continua d’appliquer cette peine aux faux monnayeurs. Le 19 septembre 1510, à Metz, le faussaire Bernard d'Anjou fut d’abord exposé au pilori, portant, cousus sur ses vêtements, des échantillons de monnaie de sa fabrication. Juste devant lui, le bourreau préparait les ustensiles de son supplice. Une chaudière avait été installée dans un fourneau en maçonnerie, bâti spécialement ; on y faisait chauffer six quartes d’huile mélangées à un volume double d’eau. Au bout de quelques heures, le liquide étant suffisamment bouillant, le condamné fut détaché, hissé sur un petit échafaud qui dominait la chaudière et lié avec une chaîne : les bras sous les cuisses et la tête ramenée contre les genoux. Ceci fait, l’exécuteur le saisit par les pieds et le précipita, cul par-dessus tête, dans le chaudron en ébullition. Il le retint un bon moment au fond à l’aide d’une fourche, jusqu’à ce qu’il fut complètement cuit (6). Le samedi 27 avril 1527, à Angers, sur la place des halles, Jehan Ducouldray, maître orfèvre, et Laurent Stelle, d’origine vénitienne « furent bouilliz touz vifs en eaue toute bouillante, en une grande chaudière ». Le lundi suivant, au même endroit, leur complice Jehan Le Vannier, du Pont-de-Sée, subit le même sort (7). Quelques mois plus tard, le 9 novembre, Yon de Lescat, marchand à Paris, fut bouilli au marché aux pourceaux pour avoir lui aussi fabriqué de la fausse monnaie. On pourrait multiplier les exemples.

Bien que dans les années 1600-1610, dans certaines régions, on continuait encore d’utiliser cette manière d’exécuter les faussaires, il semble que c’est sous le règne d’Henri IV qu’elle disparu progressivement.
A Rennes, au début du XVIIème siècle, la chaudière servant à de telles exécutions était encore assez souvent employée. En 1600, le parlement de Bretagne confirmant la sentence rendue par les juges de Dinan condamnant Guillaume Avard, sieur de la Herviay à « estre bouilly et pendu » spécifia que l’exécution se ferait à Rennes. Le 18 mars 1603, ce même parlement rendit un arrêt à l’encontre de Jacques Legrand, prévenu de fabrication et exposition de fausse monnaie, ordonnant qu’il soit « bouilly puis pendu sur les lices de ceste ville, son corps mort porté au lieu patibullaire » (8).
Une ordonnance rendue par le Parlement de Bretagne, le 1er mars 1604, sur requête de Jacques Cousinet, exécuteur criminel des arrêts, apporte de curieux détails sur cet instrument de supplice. Le bourreau en effet, exposant à la Cour les gros soucis que lui procurait la chaudière, expliquait que « comme lorsqu’il est question de vacquer aux exécutions des condemnés pour crimes de fabrication de faulse monnoye, il luy estoit impossible de faire lesdites exécutions à cause que la chaudière destinée pour ce faire est sise en ung chemin ordinaire près les lices de ceste ville par lequel il passe journellement charettes et chevaux à portans les provisions en ceste ville qui dissipent et rompent ladite chaudière, tellement » ajoute-t-il « que lors desdites exécutions, ledit Cousinet estoit contraint faire vacquer à la réfection et rédification de ladite chaudière et presque impossible faire chauffer l’eau dedans icelle par les incommodité du lieu de ladite sittuation et des maisons adjazantes » En conséquence, le requérant demandait qu’«il luy feust permis faire transporter ladite chaudière et fourneau d’icelle hors dudit grand chemin et lieu où elle est sittuée, en lieu plus éminant et commode pour faire lesdites exécutions.» La Cour fit examiner « l’estat de ladite chaudière » par un commis du greffe criminel qui en dressa procès verbal pour vérifier ces dires, puis elle ordonna que « ladite chaudière sera transportée en aultre lieu plus commode et éminant en ladite place des lices par l’advis des proches voisins de ladite place » Ceux-ci, consultés lors d’une sorte d’enquête informelle, avaient en effet donné un accord quasi enthousiaste à ce voisinage qui ne faisait que s’ajouter à celui du gibet. » (9)
En février 1609, un jugement rendu par les juges royaux de Concq, Rosporden et Fouesnant, semble prouver que l’abandon de la peine de la chaudière, à cette époque, tenait encore davantage à de simples raisons matérielles qu’à une évolution de la jurisprudence vers plus d’humanité. En effet, il est dit que le mari et la femme seraient « pendus et estranglés attendu qu’il n’y avoit chaudière y commodité pour les exécuter.» (10)
En 1610, à Nancy, Jean Morice dit Menard et son fils sont encore exécutés dans l’eau bouillante. De même qu’à Châteaulin les juges royaux condamne Nicollas Donval, accusé de fabrication et exposition de fausse monnaie, à faire amende honorable puis « de là mené sur l’écluze et chaussée de ladite ville et audit lieu en ung chaudron qui a ceste fin y seroit mis, bouilly puis pendu à la potence aussi à cest effet y dressée ». Mais le temps du supplice de la chaudière était sans doute déjà révolu car, dans un arrêt du 6 août 1612, le Parlement de Bretagne décida de commuer cette peine en une simple exécution par pendaison. (11)

Jourdan

(1) Comptes royaux (1285-1314), publié par R. Fawtier et F. Maillard, tome I, Comptes généraux, Paris.
(2) Ibidem
(3) Sauval, Histoire et recherche des antiquités de Paris, t. III, p. 274.
(4) N. Clément-Janin, Le Morimont de Dijon. Bourreaux et supplices, Dijon, Darantière, 1889, p.30.
(5) Archives Nationales, JJ 219, f°5.
(6) Charles Bruneau, La Chronique de Philippe de Vigneulles, Metz, S.H.A.L., 1927, tome IV, pp. 81-84.
(7) Archives municipales d'Angers, BB 18 fol. 95. Célestin Port, Inventaire analytique des archives anciennes de la mairie d’Angers, Paris Dumoulin, 1861.
(8) Christiane Plessix-Buisset, Le criminel devant ses juges en Bretagne aux 16e et 17e siècles. Paris, Maloine, 1988, p. 164.
(9) Ibidem
(10) Ibidem

(11) Ibidem

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