16 mai 2009

Réhabilitation d’un maître des hautes et basses oeuvres


Pendant des siècles, dans toute la France mais aussi à l’étranger, les bourreaux ont entretenu d’étranges rapports avec la médecine. Leur métier de tortionnaire leur ayant permis, à l’évidence, d’acquérir de bonnes connaissances anatomiques. On les considérait comme d’adroits rebouteurs, de même qu’on leur prêtait souvent des talents de guérisseurs. Ils médicamentaient, ils saignaient, ils opéraient les malades. Leur fameuse « graisse de pendu » était recherchée avec empressement et ils excellaient, disait-on, à extirper les cancers des femmes à l'égal de ceux de la société. Ils passaient encore pour très habiles à cicatriser les plaies ainsi qu'à soigner les ulcères les plus dégoûtants. Cet empiètement du bourreau sur les attributions d'Esculape donnait régulièrement lieu à des protestations des médecins, des apothicaires et des chirurgiens, peu flattés de la concurrence.

Martin Castagnier ou Castagniére, installé en Champagne puis en Lorraine au début du XVIIIème siècle, est un exemple de ces bourreaux médecins. Né à Châlons-en-Champagne le 23 février 1679, où son père – Jean – était exécuteur, il se marie à Vitry-le-François, le 29 juin 1701, avec Claudine Saffret, fille de Jean Saffret, bourreau de Vitry. Après avoir exercé l’office de maître des hautes et basses œuvres en Champagne il est appelé, entre 1708 et 1733, à remplir les mêmes fonctions dans la capitale du Barrois (1). Durant le cours de son ministère, il s'était adonné à l'étude de l'anatomie et avait acquis des connaissances qui lui permettaient de guérir promptement les luxations, fractures « et autres accidents ». Les chirurgiens, auxquels il faisait une concurrence redoutable, le poursuivant de leurs vexations, il se vit obligé de renoncer à son office pour se vouer entièrement au soulagement des blessés. Mais, afin de ne leur inspirer aucune répugnance et se laver de la tache que ses fonctions lui avaient imprimée, il crut devoir solliciter des lettres de réhabilitation qui devaient effacer toute trace de flétrissure sur lui et ses descendants. Il fut fait droit à cette requête, en considération des services qu'il avait rendus et était encore appelé à rendre, et il put prendre rang dans la société sans qu'il fut permis à personne de lui rappeler son passé, ni de lui en adresser un reproche. C'est ce qui est consigné dans les lettres patentes que nous publions intégralement ci-dessous (2) :

« François, par la grâce de Dieu, duc de Lorraine, de Bar, de Montferrat et de Teschen, roy de Jérusalem, duc de Calabre et de Gueldres, marquis de Pont à Mousson et de Nomeny, comte de Provence, Vaudemont, Blamont, Zutphend, Sarwerden, Salm, Falckenstein, prince souverain d'Arches et de Charleville, etc., à tous présens et à venir, Salut. Nous avons reçu la très humble suplication faite de la part de Martin Castagnié, cy devant maitre des hautes et basses oeuvres de Bar, contenant qu'ayant acquis, par son étude et son application et une infinité de discétions anatomiques, qu'il a fait, tant en France qu'en Lorraine, depuis trente deux ans, une connoissance parfaitte de toutes les parties du corps humain et la manière de guérir promptement les luxations, fractures et autres accidents, en quoy il auroit parfaitement réussi toutes fois qu'il a été appellé par les blessés et malades, suivant les certifficats en grand nombre qu'il a produit et l'acte de notoriété qui luy en a été donné par les officiers de l'hôtel de ville de Bar, qui justifient pleinement son sçavoir et son expérience, qui luy ont attiré la confiance du publique, qui l'emploie préférablement aux chirurgiens de ladite ville et de la campagne, qui n'ont cessé de le chagriner et de le poursuivre pour l'empêcher de prêter ses secours à ceux qui l'appelloient ; ce qui l'auroit obligé de quitter ses fonctions de maître des hautes et basses ouvres, qu'il aurait remis entre les mains de Jean Renne (3), son gendre, qui les fait à présent, pour s’attacher entièrement au soulagement des blessés, sy notre bon plaisir étoit de lui permettre de continuer à les secourir, et pour faire avec plus de liberté de sa part et moins de répugnance du côté desdits blessés, de luy accorder nos lettres de réhabili­tation sur ce nécessaies. A quoy inclinant favorablement, en faveur de sa réputation et expérience, de la confiance que le publique a en luy, des secours réels qu'il donne aux pauvres, et pour l'engager à les continuer comme il a fait jusqu'a présent, après avoir fait voir le grand nombre d'attestations et de certifficats des cures extraordinaires qu'il a fait, et eu sur ce l'avis des gens de notre Conseil, Nous, de notre grâce spéciale, pleine puissance et autorité souveraine, avons ledit Martin Castaignié, ensemble ses enfants nés et à naître en légitime mariage, relevé et réhabilité, relevons et réhabilitons par ces présentes de l'état vil dans lequel il étoit tombé pour avoir exercé les hautes et basses oeuvres ; deffendons très expressément à tous nos sujets, de quelle qualité et condition ils soient, de leur en faire à l'avenir aucuns reproches; voulons, au contraire, qu'ils soient admis et recéus dans les corps de métiers où ils voudront entrer et dans les communautés où ils voudront résider, ainsy que nos autres sujets, et sans en pouvoir être rejettés, en s'abstenant dès à présent de touttes fonctions dedittes hautes et basses oeuvres ; et, pour ne point priver nos sujets des secours qu'ils ont receus dudit Martin Castagnié dans leurs pressants besoins, nous luy avons permis et permettons de continuer, dans nos Etats, à faire les fonctions de ramboiteur seulement, avec aussi deffenses à tous chirurgiens et autres de l'en empêcher. et ce nonobstant tous édits, arrêts et règlements faisants au contraire, auxquels nous avons, pour ce regard seulement, dérogé et dérogeons par ces présentes, sans tirer à conséquence en autres cas. Sy mandons à nos amez et féaux les bailly, lieutenant général, conseillers et gens tenans notre Bailliage de Bar, prévôt, chef de police, conseillers et gens tenans l'hôtel de ville dudit Bar, et à tous autres qu'il apartiendra, que du contenu aux présentes ils fassent ledit Castaigné jouir sans aucun trouble ou empêchement, car ainsy nous plaît. En foy de quoy aux présentes, signées de la main de notre très chère et très honnorée raine et mère, régente de nos Etats, et contresignées par l'un de nos conseillers et secrétaires d'Etat, commandemens et finances, a été mis et appendu notre grand scel. Donné à Lunéville, le deux juillet 1733. Signé : Elizabeth Charlotte. »

(1) Martin Castagniére est décédé à Bar-le-Duc (paroisse Notre-Dame) le 4 mai 1758, âgé de près de 80 ans. En 1739, il était logé aux frais du domaine dans une maison de la rue de Veel adossée au versant de la côte du Friteu.
(2) Archives de Meurthe-et-Moselle, B 175 f°59v°
(3) Jean-Conrad Reine marié en 1731 avec Catherine Castagniére.


Jourdan

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