24 mai 2009

Les adjoints d’Anatole Deibler (1906-1909)


Le 18 février 1906, Armand Fallières est élu président de la République. Farouche adversaire de la peine de mort, pendant trois ans il va gracier systématiquement tous les condamnés. Anatole Deibler et ses adjoints se retrouvent par conséquent au chômage.
Pourtant, pendant cette période, le Ministère de la justice continue de se préoccuper de l’exécuteur et de son équipe. Dans quel but ? Le remplacement des plus âgés ? La suppression de leurs fonctions ? Il demande à Deibler un rapport sur ses adjoints et celui-ci lui adresse, en réponse, les observations suivantes :

« Deville Adolphe, né à Chartres le 4 juillet 1832, adjoint de 1ère classe : Vu son grand âge ses facultés intellectuelles se trouvent insuffisantes pour accomplir ses fonctions avec promptitude et sang froid. Au point de vue physique, étant assez bien conservé pour son âge, il pourrait encore à la rigueur rendre quelques services pendant quelques temps.

Berger Alphonse-Léon, né le 15 février 1841 à Perpignan, second adjoint de 1ère classe : Est un homme qui depuis longtemps est atteint de débilité. Son cas est grave, se trouvant alité depuis deux mois et ayant subi il y a environ un mois une opération à la gorge par suite d’une congestion des voies vocales. J’ai su que son cas était désespéré car les médecins qui lui ont prodigué des soins ont donné aucun espoir à sa famille.

Le cas du sieur Desfourneaux Edouard, adjoint de 2ème classe, né à Metz le 5 avril 1836, est également précaire. Atteint depuis un certain temps d’accès de goutte et se trouvant d’une nature impotente, n’ayant pas la parfaite liberté de ses mouvements, possédant une vue défectueuse, n’est plus apte à remplir ses fonctions.

Pour le second adjoint de 2ème classe, Desfourneaux Léopold, âgé de 51 ans, aucune observation à adresser, se trouve dans de bonnes conditions physiques pour l’exercice de ses fonctions. » (1)

Le 30 mai, l’administration demande que Deville, Berger et Edouard Desfourneaux soient examinés par le docteur Trotignon. L’état de santé de Berger est le plus préoccupant « atteint de tuberculose pulmonaire, sa maladie a fait de tels progrès depuis mars [qu’il est] dans un état de cachexie avancée et que sa mort n’est plus qu’une question de jours ». De fait, sa femme annonce son décès le 6 juin 1906. Quelques jours plus tard, le directeur des Affaires criminelles et des Grâces décide qu’il ne sera pas remplacé. Le cas des deux autres n’est pas réglé. Deville est âgé et manque de sang froid. Quant à Desfourneaux, il est obèse et a du mal à marcher.
Pendant ce temps, la commission du budget de la chambre des députés, prétextant l’arrêt des exécutions et la nécessité de faire des économies, a décidé la suppression des frais de justice et des gages des exécuteurs. Dans ces conditions, le remplacement des adjoints n’est plus à l’ordre du jour.

Edouard Desfourneaux décède le 7 mars 1907. Anatole Deibler en informe le ministère en faisant observer que désormais le nombre de ses adjoints est réduit à deux, dont Deville, âgé de soixante-quinze ans. Il a en outre deux auxiliaires, Louis Rogis et Marcel Deschamps.

Le 13 septembre 1907, fidèle à ses convictions, le président Fallières signe une nouvelle fois la grâce de plusieurs condamnés à mort, notamment celle d’Albert Solleilland, assassin d’une petite fille de douze ans, dont l’affaire a passionné l’opinion. On s’insurge de tant de mansuétude. Et quand, en juin 1908, les quatre membres de la bande Pollet – qui a terrorisé le Nord de la France - sont eux aussi condamnés à mort, la France est en ébullition. Pour la première fois depuis son investiture, Fallières se sent obligé de refuser leur grâce. En vue de cette quadruple exécution, prévue à Béthune, le ministère de la justice consulte l’exécuteur des arrêts criminels. Fin décembre, Deibler répond qu’il pourra si besoin y procéder avec quatre aides. « Une seule exécution du reste comporterait le même personnel à cause du montage et du démontage de la guillotine et du transport du corps au cimetière ». Mais de ses deux adjoints en exercice, un seul, Léopold Desfourneaux, est valide. Le second, Adolphe Deville, « actuellement âgé de 77 ans, est dans l’impossibilité presque absolue de rendre des services ». Il resterait donc trois aides à nommer. L’exécuteur précise qu’il pourrait « à la rigueur » se contenter d’auxiliaires, rappelant qu’à l’occasion de l’exécution de Damoiseau (2), à Troyes, il a fait appel à Louis Rogis et Marcel Deschamps. Il les connait personnellement et assure « qu’ils offrent des garanties à tous les points de vue ; ils sont au courant du fonctionnement de la guillotine et savent la monter ». En outre, en raison de l’invalidité de Deville, Anatole Deibler suggère l’engagement d’un troisième assistant. Il propose Jules-Henri Desfourneaux « qui a toute compétence et qui présente également, à tous points de vue, les garanties nécessaires ». Enfin, pour éviter d’éventuels sentiments de jalousie entre eux, il conseille au ministère de les mettre « sur le même pied » en les nommant tous adjoints de seconde classe. Et l’habile Deibler de conclure qu’il les dirigera mieux ainsi.
Dans de telles circonstances, que pourrait refuser le directeur des affaires criminelles et des grâces à cet auxiliaire de justice, redevenu indispensable ? Quelques jours plus tard, le 9 janvier 1909, il signe l’arrêté nommant Louis Rogis et Marcel Deschamps, adjoints de seconde classe. Et le surlendemain, 11 janvier, toute l’équipe est à Béthune pour procéder à l’exécution des quatre membres de la bande Pollet.

Dernier adjoint de l’ancienne équipe, à laquelle il appartenait depuis trente ans, Adolphe Deville fait parvenir sa démission le 28 janvier 1909 :
« Monsieur le Directeur, Je soussigné Deville Adolphe né à Chartres le 4 juillet 1832, adjoint de 1ère classe à l’exécuteur des arrêts criminels, vient par la présente adresser, vu son grand âge, sa démission d’adjoint à l’exécuteur. J’ai l’honneur d’être, Monsieur le Directeur, votre très humble, Deville »

Jourdan

(1) Archives Nationales, BB/18/6585. Rapport signé de Deibler le 21 mai 1906
(2) Pierre-François Damoiseau, guillotiné le 14 janvier 1899


1 commentaire:

  1. Bonjour,

    Petite précision : jusqu'au "retour" des exécutions en 1909, la grâce systématique des condamnés à mort par le président FALLIERES ne vaut que pour ceux de France métropolitaine, car le chef de l'Etat a laissé, par deux fois au moins, la justice "suivre son cours" en Algérie, en 1906 : à Mostaganem le 30 mai et Bougie le 27 juin.

    Cordialement

    Sylvain

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