22 mai 2009

La pendaison à la française


Presque tout français qui vivait au XVIIIe siècle, surtout s’il habitait une grande ville, a assisté au moins une fois dans sa vie à une exécution capitale. La plus courante et la plus banale, si l’on peut dire, était la pendaison. La potence était une poutre élevée, ayant à son extrémité supérieure un bras, parfois deux, d’où son appellation de potence brasselée. On ne l’érigeait que le jour du supplice, le plus souvent au centre d’une place publique. Dans les cités importantes, où les exécutions étaient fréquentes, son emplacement était marqué, d’une façon permanente, par un trou pratiqué dans un massif de pierres de taille. On y plantait le bas de la potence, qui y entrait à quelques pieds de profondeur, et qu’on bloquait avec plusieurs coins de bois. Au pied de la potence, ou avant de sortir de la prison, l’exécuteur passait autour du cou du condamné une corde, appelée tortouse par les gens du métier. Elle était généralement en chanvre de bonne qualité (ce n’était pas toujours le cas) et pourvue, parfois, d’un nœud qu’on plaçait sur la gorge. La tortouse était terminée à chacune de ses extrémités par une boucle solidement nouée. L’une était destinée à former le nœud coulant et l’autre à être accrochée au bras de la potence. Une échelle, forte et large, était posée contre la poutre horizontale à laquelle elle était fermement assujettie par des cordages (pour éviter qu’elle ne tourne ou qu’elle ne glisse). L’exécuteur montait le premier, dos à l’échelle, suivi du condamné maintenu par la tortouse et soutenu sous les aisselles. Ils gravissaient ainsi, à reculons, tous les barreaux, jusqu’au sommet. Arrivé au bras de la potence, le bourreau y attachait rapidement la corde en passant l’œillet qui la terminait dans un crochet. Presque aussitôt, par un coup de genou dans le dos, le condamné était précipité dans le vide. C’était alors le moment le plus barbare de l’exécution. L’exécuteur se glissait sur le bras de la potence (à la force des poignets) juste au dessus du pendu. Il plaçait ses pieds sur les avant-bras liés de celui-ci et, en pesant de tout son poids, le secouait violemment pour lui briser les vertèbres cervicales. Chaque bourreau avait sa technique. Certains allongeaient de grands coups de genou dans l’estomac du condamné, d’autres – quand la tortouse était assez longue – montaient sur ses épaules et lui donnaient de vigoureux coups de talon dans la poitrine.
En 1763, le docteur Antoine Louis a fait paraître le compte rendu de ses recherches sur les différents aspects de la mort par pendaison (1). Ayant poussé ses investigations jusqu’à consulter « de vive voix » l’exécuteur de justice, il en a rapporté de surprenantes précisions : « L’exécuteur de Paris m’a dit qu’il mettoit toujours le nœud coulant en devant sous le menton : de cette façon le poids du corps serre promptement ce nœud qui glisse à la partie latérale du col ; l’impression est presque circulaire, & la constriction si forte, que l’anse de la corde, à la partie opposée du nœud, enfonce la peau dans les parties molles […] A Paris, un pendu a presque toujours la tête luxée, parce que la corde placée sous la mâchoire, & l’os occipital, fait une contre-extension : le poids du corps du patient augmenté de celui de l’exécuteur, fait une forte extension. Celui-ci monte sur les mains liées qui lui servent comme d’étrier, il agite violemment le corps en ligne verticale, puis il fait faire au tronc des mouvements demi-circulaires, alternatifs & très prompts, d’où suit ordinairement la luxation de la première vertèbre. Dès l’instant, le corps du patient qui étoit roide, & tout d’une pièce, par la contraction violente de toutes les parties musculeuses, devient très flexible; les jambes & les cuisses suivent passivement tous les mouvements qui résultent des secousses qu’on donne au tronc ; & c’est alors que l’exécution est sûre. »
Louis a poursuivi son enquête jusqu’à Lyon, chargeant Faure, chirurgien dans cette ville et correspondant de l’Académie Royale de chirurgie, d’y recueillir d’autres informations sur le même sujet : « L’exécuteur de Lyon a expliqué sa manœuvre. Il place le nœud coulant de sa corde à la partie postérieure du col, sur la nuque ; mais il y a un nœud fixe à la partie antérieure, qui, sans empêcher le coulant de se serrer, ne permet pas que la corde glisse sous le menton ; ce qui fait que l’impression de celle-ci est plus oblique ; celui qui fait l’exécution monte en quelque sorte sur la tête du patient qu’il tire en devant, ce qui lui enfonce le nœud stable antérieur contre le larynx ou la trachée artère, d’où résulte leur lacération ou fracture. »
En ne citant que Paris, nombreux sont les incidents arrivés au cours de pendaisons. En août 1751, place de grève, la corde rompit à deux reprises et le bourreau acheva le supplicié en l’étranglant de ses propres mains avant de le pendre une troisième fois « quoique mort ». Il fut jeté en prison pour incompétence. (2) Bien souvent, la mort du patient était loin d’être instantanée. Le libraire Hardy rapporte : « L’exécution fut fort mal faite et le patient souffrit beaucoup […] l’exécuteur fut contraint de le secouer pendant plus de cinq minutes » (3) ou encore « Cet homme qui étoit très robuste et haut de cinq pieds, sept pouces, eut beaucoup de peine à mourir et l’exécuteur le secoua pendant plus d’un quart d’heures » (4) Le 14 juillet 1784, Dieudonné Guivernet fut pendu place de grève pour vol avec effraction « Comme l’exécuteur, trompé, par une hémorragie considérable qu’avoient occasionné les premières secousses, montoit à l’hôtel de ville pour annoncer et certifier sa mort, les clameurs du peuple qui avoit apperçu du mouvement dans le supplicié, le forcent de revenir sur ses pas, de remonter l’échelle et de secouer de nouveau le patient, jusqu’à ce que mort véritable s’ensuivît enfin dans l’espace de dix minutes. Ce qui mettait, disoit-on, l’exécuteur des hautes œuvres dans le cas de subir momentanément la peine de prison » (5)

Jourdan

(1) Bibliothèque Nationale, Réserve 8°TF10-1. Mémoire sur une question anatomique relative à la jurisprudence, dans lequel on établit les principes pour distinguer, à l'inspection d'un corps trouvé pendu, les signes du suicide d'avec ceux de l'assassinat, Paris, P.-G. Cavelier, 1763, 54 p.
(2) Archives Nationales, AD III 8, p. 14
(3) Bibliothèque Nationale, Manuscrit français 6680, p. 134
(4) Ibidem, p. 244
(5) Pascal Bastien, L’exécution publique à Paris au XVIIIe siècle, Champ Vallon 2006, pp. 232-233


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