30 décembre 2009

Les bourreaux de Verdun au XVIIème siècle (3)

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En complément à notre article précédent, l’écrivain lorrain Alain Fisnot a eu l’amabilité de nous communiquer un document intéressant, dont nous ignorions l’existence, qui pourrait avoir un rapport avec la mort brutale de Claude Miraucourt, le bourreau de Verdun.
Il s’agit d’un acte passé le 6 novembre 1707, par devant Mangin, notaire à Verdun (1). Soit seulement quatre mois avant le décès par empoisonnement de l’exécuteur et de sa femme. A cette date, Claude Miraucourt, exécuteur des sentences criminelles du bailliage de Verdun, et Françoise du Carle, son épouse, passent un traité avec Pierre Etienne, leur gendre, bourgeois de Verdun, et Louise Miraucourt, sa femme. En préambule, le notaire note : « C’est assavoir que lesdits Miraucourt et sa femme se trouvant incommodés journellement et hors d’estat de pouvoir travailler comme cy devant, pour cette cause ils se sont déportés de la place d’exécuteur des sentences criminelles de cette ville et banlieue et de mesme que ledit Claude Miraucourt en jouit présentement. Et ce pour et au profit dudit Pierre Etienne et sa femme pour en faire l’exercice au lieu et place dudit Claude Miraucourt pendant sa vie et celle de ladite Françoise du Carle. » Moyennant quoi tous les profits de cette charge entreront en communauté et seront employés « à la nourriture, entretien et nécessité » de chacun des deux ménages, lesquels résideront ensemble au domicile de Claude Miraucourt. Les revenus de l’exécuteur provenant, d’une part, du « blanchissage, vuidange et nectoyage des hauts et bas greniers et tout ce qui en despend » et, d’autre part, de trois-cents livres de gages annuels. Si, au terme de chaque année, il subsiste un reliquat des dépenses courantes, il sera partagé à égalité entre les deux familles. Il est stipulé que Pierre Etienne et sa femme ne pourront vendre ni « autrement disposer de ladite place » qu’après le décès de Claude Miraucourt et sa femme. Par ailleurs, si ce dernier venait à décéder pendant le cours de ce traité, il laissera un acte de démission en faveur dudit Etienne et non d’un autre. Lequel office appartiendra en totalité à Pierre Etienne aussitôt le décès de Françoise du Carle. Enfin, le document prévoit que les deux enfants mineurs de défunt Claude Miraucourt (2), ancien bourreau de Toul, seront également nourris, élevés et entretenus sur le budget commun, auquel ils contribueront par une pension annuelle.

Nous avons vu que les époux Miraucourt furent retrouvés empoisonnés le 28 février 1708. Le document qui précède confirme, à l’évidence, que le principal bénéficiaire de leur disparition était Pierre Etienne, leur gendre. Quant à conclure qu’il est l’auteur de l’assassinat de ses beaux-parents, nous n’en avons aucune preuve. Pas plus que la justice de cette époque qui, semble-t-il, n’entama aucunes poursuites contre lui.

Pierre Etienne devint donc bourreau de Verdun. Curieusement, cinq mois après le décès de ses parents, Louise Miraucourt - sa femme – s’éteignit à son tour le 28 juillet 1708. Seulement trois mois plus tard, Etienne se remaria à Metz, le 30 octobre 1708, avec Marie-Elisabeth Roch, fille d’Henry Roch, bourreau de Metz. Après le décès de cette dernière, il convola en troisième noces, en 1731, avec Marguerite Desmoret, fille de Nicolas, bourreau de Châlons. Puis, en 1746, quatre mois après la mort de celle-ci, il se rendit à Rouen pour y épouser Marie-Gabrielle Le Vavasseur, fille de Martin, bourreau de cette ville. Enfin, le 1er juillet 1749, à Verdun, il se maria une cinquième fois. Sa nouvelle épouse se nommait Marguerite Wolff. Elle était fille d’un bourreau allemand et veuve de Jean-Pierre Dalembourg, bourreau de Thionville. L’exécuteur de Verdun mourut dans ses fonctions le 21 juin 1750, âgé de 64 ans. Au moins quinze enfants naquirent de ses cinq mariages.

Bourreau des coeurs, bourreau tout court, Pierre Etienne n’a-t-il utilisé ses talents que dans le cadre de sa profession ? Un jour, peut-être, les archives nous livreront de nouvelles révélations à son sujet.

(1) Archives départementales de la Meuse, 12E165.
(2) Ce Claude Miraucourt, fils de Claude Miraucourt et de Françoise du Carle, fut bourreau de Toul de 1692 à 1706. Il mourut en 1706 laissant une fille, Nicole (née en 1692) et un fils, Pierre (né en 1700). 



23 décembre 2009

Les bourreaux de Verdun au XVIIème siècle (2)


Suppléant de Didier puis de Jean Martin, dès janvier 1630, Jean Miraucourt s’impose très vite comme le véritable exécuteur de Verdun. En mars 1631, le receveur de la ville lui verse les 10 francs qu’on lui a accordés, annuellement, pour son logement. Vers 1636 ou 1637, au départ définitif de Jean Martin, il devient le seul et unique maître des hautes œuvres de la cité. A cette époque, il perçoit 22 francs comme salaire annuel. Entre 1640 et 1651, ses rémunérations restent constantes, soit 10 francs pour son logement et 40 francs pour ses gages (1).
Jean Miraucourt et son épouse, Jeanne Gossin, se sont installés dans la paroisse Saint-Pierre-le-Chéri. C’est là que naissent, entre 1639 et 1641, leurs sept enfants. Ils reçoivent une certaine éducation. On note que le plus jeune, Claude, et sa soeur Jeanne, savent parfaitement signer.
Dès le début des années 1660, Jean Miraucourt s’est adjoint les services de son gendre, Nicolas Blin dit la boule.
Le 15 décembre 1668, les administrateurs de la ville sont alertés que « Jean Miraucourt, maître des hautes œuvres, s’ingère de prendre part de toutes les denrées qui se vendent et débitent en cette ville, quoy que son devancier n’avoit qu’accoustumé de prendre que de chacun panier de boeure, œufs, fromage et fruicts, 3 deniers tournois et ne prenoit aucune chose des vins, foins, charbon, bois et autres vivres et denrées, laquelle augmentation il a faite sans permission au scandale et à l’intérêt du publicq » (2). Le procureur syndic est chargé de s’en informer.

Devenu âgé et hors d’état de poursuivre ses fonctions, Jean Miraucourt démissionne en faveur de son fils Claude, qui est nommé à sa place le 21 août 1677. La ville en profite pour remplacer son droit de havage par un salaire et pour préciser ce qui lui est permis : « Lui ont donné pour tous gages la somme de 300 livres par an, laquelle lui sera payée d’avance par quartiers, à charge qu’il ne lèvera aucune chose sur les bourgeois et habitans de cette ville et faubourg, ni même les forains qui viendront vendre des denrées, ni même quand il fera justice. Outre plus lui avons accordé le blanchissage des bêtes en ville, faubourg et banlieue, à condition qu’il sera obligé d’enterrer toutes sortes de bêtes mortes et entrailles d’icelles partout où il s’en trouvera dans la ville, faubourg et banlieue. Ne pourra prendre ou exiger pour écorcher plus grande somme que celle de six sols pour chacune grande bête, savoir chevaux, bœufs et vaches, et 4 pour les moyennes, savoir porcs, brebis et veaux » (3).

Né en 1641, Claude Miraucourt a appris le métier auprès de son père, à Verdun. Mais c’est à Toul où il épouse en 1665 Françoise du Carle, fille de Humbert, maître des hautes et basses œuvres de cette ville, qu’il débute sa carrière. Pendant douze ans il y sera bourreau avant de revenir à Verdun en 1677.
En 1688, Claude marie sa fille Catherine avec Jean-Jacques Bourgard, descendant d’une vieille famille d’exécuteurs allemands. En 1705, Louise, sa benjamine, épouse Pierre Etienne, âgé de dix-huit ans et originaire de Naix-en-Barrois, qui lui succèdera comme bourreau de Verdun. Enfin, en 1706, sa troisième fille prénommée aussi Catherine épouse Jean François, originaire de Metz, qui deviendra maître des hautes œuvres de Damvillers.

Après la disparition de son père Jean, décédé le 9 septembre 1692, Claude Miraucourt prend la précaution de se pourvoir de nouvelles lettres de provisions données à Versailles le 6 février 1693.

Le 28 février 1708, vers sept heures du matin, le procureur de Verdun est informé par Pierre Etienne, gendre du bourreau, du décès de ses beaux parents dans des circonstances mystérieuses. Etienne lui raconte qu’ayant passé la nuit dans un grenier de la maison de Claude Miraucourt, exécuteur des hautes et basses œuvres, à son réveil il l’a trouvé mort sur son lit, dans une chambre basse donnant sur le jardin. La femme du défunt, Françoise du Carle, également décédée, gisait sur un matelas près de la cheminée. Seule Jeanne Duval, leur nièce, qui avait dormi dans la même pièce, était encore en vie.
Aussitôt, Monsieur de Watronville, assesseur civil et criminel de bailliage de Verdun, accompagné de son greffier, d’un médecin, de deux chirurgiens et de deux huissiers, se rendent sur les lieux. Claude Miraucourt est étendu sur son côté gauche et son épouse a le visage tourné vers le ciel. Les corps sont transportés dans la cour de la maison pour y être examinés. Ils sont tous deux de bonnes constitutions. L’homme présente cependant une tension non naturelle au bas-ventre et du sang s’échappe de son nez. La femme, quant à elle, arbore des lividités rougeâtres sur différentes parties de son corps. Les médecins procèdent ensuite à l’ouverture des cadavres : « Après avoir fait l'ouverture des trois ventres, à savoir du cerveau, de la poitrine et du ventre inférieur, ils ont trouvé le dit cerveau et la dite poitrine des deux cadavres, après en avoir fait la dissection dans les positions naturelles à la différence seulement que les poumons étaient un peu noircis et a l'égard du ventre inférieur, ils ont reconnu que la membrane interne des deux estomacs était inflammée, excoriée et rongée dans leur fonds. Celui de Miraucourt davantage que celui de sa femme. Ce qui a donné sujet de craindre que quelques matières âcres et corrosives n'en aient été la cause et pour ce sujet en ont ôté les estomacs pour plus grande attention. Au cours de cette perquisition et dissection, ils ont remarqué outre ce qui est noté au-dessus, sur le cadavre dudit Miraucourt, que la partie inférieure de l'œsophage ou gosier, toute noircie et gangrenée de la longueur de deux travers de doigts, eu au boyau duhodénum qui est celui qui est attaché audit estomac, une mortification très grande dans toute son étendue qui est longue de douze doigts, et la dite femme Ducarle la langue fort épaisse, chargée, ridée et un peu brûlée » (4).
Un second examen des corps, effectué cette fois par deux docteurs en médecine et trois chirurgiens jurés, conclut « qu'il y a grande présomption et vraisemblance (attendu une mort si précipitée, la corrosion, mortification et gonflement des parties et que les deux sont dans leur état naturel qui ne nous indique aucune cause de mort), qu'elle a été occasionnée au dit Miraucourt et sa femme par quelque poison violent comme arsenic ou sublimé corrosif » (5).
Pierre Etienne, Louise Miraucourt, sa femme, et Jeanne Duval, la nièce des défunts, sont conduits dans les prisons de la ville pour y être interrogés. Apparemment aucune charge n’est retenue contre eux. Le jour même, Claude Miraucourt et son épouse sont inhumés dans le cimetière de la paroisse Saint-Pierre-le-Chéri, en présence de Jean François et Pierre Etienne, leurs deux gendres.

Les époux Miraucourt ont-ils été empoisonnés ? Se sont-ils suicidés ? Nul ne le sait.

Trois mois plus tard, le 26 mai 1708, Pierre Etienne est nommé bourreau de Verdun.

Jourdan

(1) Bibliothèque Nationale, N.A.F.11330, f°192 v° et Archives Municipales de Verdun, CC.170 f°451 r°.
(2) Archives Municipales de Verdun, BB.13 f°45 r°.
(3) Bibliothèque Nationale, N.A.F. 12793, f°72 r°.
(4) Archives départementales de la Meuse, BP 1980. Document analysé par Jacques Desrousseaux et publié par Alain Fisnot, Les grandes affaires criminelles de la Meuse, De Borée, 2006, pp.24-25.
(5) Ibidem.


22 décembre 2009

Les bourreaux de Verdun au XVIIème siècle (1)

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Antique citée fortifiée sur les bords de la Meuse, devenue française en 1552, Verdun a toujours été pourvue d’un bourreau. Les premiers titulaires de cet office ne sont connus que par leurs prénoms : Jehan (1494), Guillaume (1504), puis un nommé Brounet (1517), Jean Gaultier dit maître Jehan ou maître Gaultier (1532-1538), Jean (1553-1558), et encore un Jean Gaultier (1575).
En mai 1594, Fiacre Georges, l’exécuteur de la haute justice, touche 6 francs 6 gros pour ses gages de quatre mois (1). Il décède un an plus tard. Contrairement à beaucoup d’autres villes de France, Verdun n’a jamais eu à chercher très loin ses exécuteurs. En général elle les trouve dans les villages du voisinage ou, à défaut, dans les plus proches prévôtés de Lorraine. Le 3 janvier 1596, se présente Domange Martin, natif de Longwy, qui est reçu aux gages de 36 francs par an « attendu qu’il est fils de maître dudit état et qu’il l’a ja exercé l’espace de 3 ans » (2). La carrière de ce dernier s’achève brusquement en 1599 : « pour avoir tiré des coups d’arquebuse sur lescale du soir, la garde étant assise » il est condamné à mort et exécuté (3). Sa veuve n’entend pas se laisser déposséder de l’office. Elle annonce qu’elle continuera à l’exercer par l’intermédiaire d’un autre bourreau qu’elle compte épouser très prochainement. Les échevins de Verdun accèdent à sa requête et, « en considération de la mort dudit Demange précipitament advenue », acceptent de lui payer ses gages jusqu’à son nouveau mariage (4). De fait, Jean Rouxel est reçu nouvel exécuteur de Verdun, le 26 août 1599, en remplacement de Martin. Il assumera les fonctions pendant plusieurs années jusqu’à ce que le fils de son prédécesseur soit en état de les pratiquer à son tour.

Dans les années 1620, Didier Martin est confirmé comme exécuteur de la haute justice. Vers cette époque, il loge dans une maison avec dépendances appartenant à la ville, située près de la tour du champ. Le 9 janvier 1627, il demande à quitter ses fonctions « pour quelques considérations par lui alléguées ». Mais les édiles refusent de lui accorder son congé « sinon en fournissant par lui un maître, homme capable à la dite charge, à sa place » (5). Vraisemblablement malade, il obtient que Jean Miraucourt, d’Ancemont, le remplace. Le 19 janvier 1630, ce dernier est agréé comme exécuteur de la haute-justice (6). Le 9 février suivant, Didier Martin étant décédé, Miraucourt restitue le poste à Jean Martin, fils du défunt. En fait, comme le jeune Martin n’a pas encore l’âge ou les capacités de remplir cet emploi, c’est toujours Jean Miraucourt qui continue à officier à Verdun. A cette date, le maître des hautes œuvres demeure rue de Tilly, dans la paroisse Saint Victor.

Bien que titulaire de l‘office de Verdun, Jean Martin a jeté ses vues sur celui de Metz, plus important et plus lucratif. Au mois d’octobre 1632, sans doute en raison de son absence, les échevins de Verdun lui interdissent formellement de lever les droits attachés à ses fonctions « à peine de punition exemplaire ». Dans le même temps, ils le confirment comme exécuteur en titre « à charge de fournir à ses frais, à l’occasion, homme capable à cet exercice, et ce jusqu’au bon plaisir de Mes[sieurs] » (7).

Le 4 avril 1633, Jean Martin se marie à Metz, en la paroisse Saint-Victor, avec Barbe Le Suisse, fille de Louis, maître des hautes œuvres de cette ville. Au moins trois enfants naîtront de cette union : Louis et Hubert, baptisés à Verdun en 1634 et 1636, et Nicolas, qui se mariera à Châlons-en-Champagne, en 1669, avec Françoise Saffret, fille de Louis qui fut exécuteur de Châlons puis de Vitry-le-François.

Au décès de son beau-père, Jean Martin lui succède comme bourreau de Metz, le 1er avril 1636. Seize ans plus tard, accusé de « vie scandaleuse » il est banni de la cité à la suite d’une information menée à son encontre, le 21 janvier 1653, par le lieutenant criminel du bailliage de Metz (8). Deux ans après c’est au tour de Barbe Le Suisse, sa femme, d’être emprisonnée sous l’accusation de « crime d’adultère ». Elle a effectivement été reconnue « atteinte et convaincue d'avoir depuis plusieurs années mené vie scandaleuse et desbordée, mesme d'avoir eu un enfant […] en l'absence et pendant le bannissement de son marit hors de ladicte Ville de Metz ». Condamnée à « estre battue et fustigée de verges par les carrefours de ladicte ville, bannie à perpétuité dudict Metz », cette sentence est confirmée en appel le 21 mai 1655 et mise à exécution dès le lendemain (9).

Jourdan
(à suivre)

(1) Bibliothèque Nationale, N.A.F. 11330, f°70 r°.
(2) Idem, f°75 v°.
(3) Idem, f°87 v°.
(4) Idem, f°88 v°.
(5) Idem, f°130 bis.
(6) Idem, f°148 v°.
(7) Idem, f°162 r°.
(8) André Brulé, Les males heures des maîtres exécuteurs de la haute justice messine (1160-1641), Les cahiers Lorrains, mars 2005 n°1, p.43.
(9) Ibidem.



19 décembre 2009

Rumeur ou réalité ? Une exécution secrète à Paris en 1774


C’est encore au journal du libraire Siméon-Prosper Hardy, toujours très bien renseigné sur les événements insolites de son temps, que nous empruntons cette histoire. Une exécution secrète aurait eu lieu au cœur de Paris, une nuit de septembre 1774. Simple rumeur ou faits avérés ? Notre libraire est bien embarrassé lorsqu’il rapporte ce qu’il a appris. Prudent, il préfère donner comme titre à cette affaire « Prétendue exécution à mort faite soi-disant à la Grève » Tous les acteurs de ce drame, qui n’est peut-être que le fruit de l’imagination d’esprits romanesques, ont emporté avec eux leur secret :

« Vendredi 30 septembre 1774 – On soutenoit toujours opiniatrement qu’un certain jour de ce mois, à une heure après minuit, on avoit conduit à la Grève dans un carrosse escorté de gardes et accompagné d’un petit nombre de flambeaux un particulier inconnu qui y avoit été décapité à genouil sur le pavé et sans qu’il eût aucunement été dressé d’échaffaud ; que l’exécution faite on avoit remis le cadavre dans le même carrosse en disant au cocher d’aller à l’hôtel. On ajoutoit qu’un particulier demeurant sur le quai Pelletier ayant voulu traverser la place de Grève dans cet intervalle, on lui avoit bandé les yeux et on l’avoit conduit jusqu’à sa porte. Des personnes demeurantes à la Grève asseuroient le fait de visu ainsi que d’autres qui habitoient la maison du Port Saint-Landry de l’autre côté de la rivière en face. On vouloit absolument que ce fut l’un des beaux frères de la comtesse du Barri maîtresse du feu roi (1). Celui, sans doute, qu’on avoit surnommé le Roué et qu’on soutenoit avoir été arrêté sur les frontières, se sauvant avec des joyaux de la couronne qu’il avoit escroqués à sa sœur, qui dans cette circonstance eüt passé de vie à trépas. Ce qu’il y avoit de certain, c’est qu’on entendoit plus parler de lui et qu’on ignoroit ce qu’il étoit devenu (2). La vérité du fait n’étoit pas encore éclaircie lorsque je transcrivois le présent article dont j’avois différé jusqu’à ce jour de faire mention. » (3)

(1) Jean-Baptiste Dubarry, vidame de Chalon, dit Le Roué, né à Lévignac en 1723. Il fut l’amant de Jeanne Bécu qu’il maria à son frère, le comte Guillaume Dubarry, avant qu’elle ne devienne la maîtresse de Louis XV.
(2) En réalité, il fut guillotiné le 17 janvier 1794. La rumeur n’a fait qu’anticiper de vingt ans sa rencontre avec le bourreau.
(2) Bibliothèque Nationale, Ms Fr. 6681, f°423.


12 décembre 2009

Le bourreau de Dax en 1700

 
A la fin du XVIIème siècle la ville de Dax décida de recruter un bourreau. Lui donnant certains droits afin de lui assurer un salaire. Il semble que cet exécuteur – dont nous ignorons le nom – se rendit rapidement impopulaire et on dû le licencier au bout de quelques mois.

«En la Chambre du Conseil du 20e avril 1700 par devant Messieurs de Borda, président et lieutenant général, Maumas, président, de Brat, lieutenant particulier et Saint-Martin conseiller :
Par le procureur du Roy a été représenté qu'il y a environ sept à huit mois qu'il a esté establi en là présente ville un exécuteur de la haute justice de l'autorité de la cour présidiale auquel il a esté fourny un tarif des droits qui lui furent alors réglés par lui, qui parle avec les sieurs maire et jurats de cette ville pour pourvoir à sa nourriture et à son entretien : mais comme cet homme perçoit ses droits avec violence et emportements graves commis contre divers particuliers et que d'ailleurs les denrées sont d'une cherté fort grande par le renversement des saisons que l'on voit depuis quelque temps, si bien que le peuple a pris en horreur cet exécuteur de la haute justice et murmure continuellement sur la perception de ses droits qu'il trouve excessifs ; enfin le procureur du Roy considérant l'inutilité de ce ministre dans ce lieu lequel est à charge au public, requiert lad. cour présidiale lui ordonner de se retirer incessamment et qu'il lui soit fait inhibition et défenses de plus percevoir à l'avenir aucuns droits sur les denrées qui se portent en la présente ville, à peine de concussion et de punition corporelle.
Il est fait droit séance tenante à ce réquisitoire et il est ordonné que l'exécuteur ne restera plus en fonction que quinze jours pendant lequel temps seulement il lui sera permis de percevoir les droits ordinaires réglés par son tarif ».

D. Goret, Le premier bourreau de Dax, Revue de Gascogne, Tome XIX, janvier-février 1924, Auch, 1924, p.182.
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6 décembre 2009

Suicide à la potence


Sans appartenir directement au sujet précédent, consacré aux plaisanteries de potence, le récit que nous publions relève cependant des incidents, parfois dramatiques, qui pouvaient se dérouler en marge d’une exécution capitale. Dans son journal (1), Jehan Louvet raconte une tentative de suicide à Angers, en 1613, à l’aide de la potence qui avait été dressée pour un supplice :

« Le samedy, à l'après-disnée, vingtième jour d'apvril audict an 1613, environ les quatre à cinq heures après-midi, est arrivé ung prodige ès-halles d'Angers. C'est assavoir qu'à la matinée de cedict jour, Julien Maugin, dit Lavardin, des Ponts-de-Cé, a esté condempné par M. le prévost de Saulmur et MM. les gens tenant le siége présidial audict Angers, d'estre pendu et estranglé; et auparavant l'exécution à mort, mis à la question pour les cas mentionnez au procès ; après la prononciation de laquelle sentence, le bourreau a mis son eschelle et cordeau à la potence pour l'exécutter, et durant qu'on bailloit laditte question audict Maugin, il s'est assemblé ès-dittes halles grand nombre de peuple pour le veoir exécutter; il y a eu ung jeune homme asgé de vingt-quatre ans ou environ, qui n'avoit point de barbe, nommé Jacques Dumu, natif de la ville de Chartres, fils d'un tenant maison et hostellerye, lequel, en présence de tout le peuple, a monsté au hault de laditte potence, où estant, a jetté son chappeau contre terre, et a prins le cordeau que le bourreau avoit préparé pour exécutter ledict Maugin, lequel il a mis à son col, et s'est jetté du hault de laditte potence en bas, et se fust estranglé, n'eust esté que le cordeau a esté en grande dilligence coupé à coups d'espée par ung archer dudict prévost, et a prins ledict Jacques Dumu, et icelluy mis ès-prisons, auquel MM. de la justice ont faict son procès, et l'ont condempné, dont ensuit la teneur de la sentence donnée contre ledict Jacques Dumu :
Veu nostre procès-verbal du samedy vingtième jour d'apvril dernier, audition de tesmoings faicte en conséquence d'icelluy, à la requeste du procureur du roy, demandeur et accusateur, contre Jacques Dumu, prisonnier ès-prisons ordinaires de ceste ville, deffendeur, a avisé ses interrogatoires et responses rendues sur icelles le vingt-deuxième du présent mois de may, aultre procès-verbal du vingt-quatrième dudict mois, contenant le rapport faict par François Berthe, maître chirurgien, de la visitation dudict Dumu, confrontation de tesmoings faicte audict Dumu, conclusions du procureur du roy, l'accusé mandé a faict venir en la chambre du conseil, ouy et répété de ses charges tout considéré.
Par nostre sentence et jugement en dernier ressort, avons ledict Dumu, pour réparation publique d'avoir attenté à sa vie et s'estre précipité à la potence en la place des Halles de ceste ville, condempné et condempnons faire amende honorable en l'audience des causes de ce siège, la juridiction tenant, à genoux, nu en chemise, la corde au col, tenant en ses mains une torche ardente du poids de deux livres, dire et déclarer à haulte et intelligible voix que témérairement et impieusement, il a commis ledict attentat dont il se repent et demande pardon à Dieu, au roy et à la justice. Ce faict, estre battu et fustigé nu de verges par les carrefours ordinaires de ceste ville et au pied de la potence, et l'avons oultre banni et bannissons de ce païs et duché d'Anjou à perpétuité, avec injonction de garder son ban sur peine de la hart.
Exécuttée le 3 juing 1613. »


(1) Jehan Louvet Journal ou Récit véritable de tout ce qui est advenu digne de mémoire tant en la ville d'Angers, pays d'Anjou et autres lieux (depuis l'an 1560 jusqu'à l'an 1634), Revue de l'Anjou et de Maine et Loire, quatrième année, tome premier, Angers, Librairie de Cosnier et Lachèse, 1855, pp. 42-43.


1 décembre 2009

Plaisanteries de potences

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On imagine difficilement qu’une exécution capitale puisse susciter l’envie de se livrer à des plaisanteries. C’est pourtant ce qui est arrivé, plus d’une fois, sans qu’on sache vraiment si nos ancêtres étaient coutumiers de telles facéties ou si ce genre de faits était exceptionnel.

En 1710, à Moulins-Engilbert, en Bourgogne, une demi-heure avant la pendaison d’une pauvre femme sur la place publique, les Pères du couvent de Picpus, situé à côté, se rendirent jusqu’au gibet pour reprendre l’échelle que le bourreau leur avait empruntée, apparemment sans leur accord. A la surprise générale, en présence de toute la ville, ils la brisèrent à coups de hache et repartirent « en riant », comme ils étaient venus (1).
A Paris, le 30 mai 1776, on allait pendre en Grève Nicolas Pereux, 26 ans, condamné pour vol, qu’on disait être un ancien frère récollet. Le libraire Hardy, qui le vit descendre le grand escalier du Châtelet, note qu’il paraissait contrit et repentant tout en ajoutant qu’il avait appris, avec étonnement, « qu’il avait eu le courage, non seulement de manger de la soupe et du bouilli à son dîner mais qu’il avait encore demandé autre chose qu’on avait refusé de lui donner » (2). Nonobstant, le chroniqueur rapporte en détails l’incident qui s’était produit quelques heures avant cette exécution : « Environ deux heures avant qu’on songeat à conduire à la Grève le susnommé, il s’y était passé une scène assez singulière ; un particulier, agé d’environ quarante cinq à cinquante ans, ayant monté l’échelle qui tenoit à la potence puis ayant retiré les fiches de fer qui liaient ensemble les différentes parties de cette potence, et redescendu, avoit crié tout haut que ces fiches étoient à vendre ; alors le garçon charpentier chargé de veiller à cet instrument de supplice et qui étoit dans un cabaret voisin averti de ce qui venoit d’arriver et voulant ravoir de ce particulier les susdites fiches de fer. Celui-ci se bat avec lui et le maltraite considérablement pourquoi la garde ayant été appelée il se défend encore vigoureusement contre les soldats qui s’en emparent néanmoins et le conduisent chez un commissaire, d’où il est ensuite traduit dans les prisons du grand Châtelet. On prétendoit qu’il n’avoit dit autre chose si ce n’est qu’il vouloit se procurer le plaisir de voir faire au bourreau une cabriole ; comme aussi qu’on l’avoit confronté au patient pour sçavoir s’il en étoit connu, mais qu’il avoit déclaré ne l’avoir vu de sa vie. » (3)

(1) Archives Nationales, G 7 410. Lettre de l’intendant Turgot, 24 avril 1710.
(2) Bibliothèque Nationale, Ms Fr. 6682, f°227.
(3) Ibidem, f°228.

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27 novembre 2009

Exécution secrète (suite)


Toujours au chapitre des exécutions secrètes on peut apporter au dossier une nouvelle pièce. C'est une lettre de M. d'Argenson, lieutenant général de police à Paris (1), adressée au Contrôleur Général des Finances, le 16 septembre 1703. Elle concerne un espion protestant enfermé à la Bastille. Le document en lui-même n'apporte pas de révélations spectaculaires, simplement il témoigne que sous le règne de Louis XIV ont avait parfois recours à la pratique des exécutions "discrètes". En l'occurrence dans la cour d'une prison.

"Le nommé Perrot, de Neufchâtel, que vous m'avez ordonné de faire conduire à la Bastille en qualité d'espion, et que des papiers trouvés dans sa chambre convainquent de l'être, tua hier un autre prisonnier qu'on avoit mis avec lui. Je l'allai interroger sur-le-champ, et je lui représentai le cadavre : il me répondit que cet homme, nommé Chevalier, étoit un papiste, qui parloit mal de la religion réformée; qu'il l'avoit tué pour la gloire de la vérité tyranniquement persécutée, et que le Dieu vivant lui avoit inspiré ce dessein. Il insulta même le cadavre en ma présence, et je puis néanmoins vous assurer qu'il étoit dans tout son bon sens, mais animé de cette espèce de fureur qui fait agir les fanatiques, ne parlant que de rétablir l'exercice de sa religion par le fer et par le feu, de tout entreprendre pour venger ses frères, et de mourir pour la défense du culte de Dieu. Il y auroit plus de matière qu'il n'en faut pour lui faire son procès et pour le condamner au dernier supplice; il a même donné un coup d'épée dans la cuisse du capitaine des portes, qui étoit allé au secours de son camarade expirant. Mais je ne sais s'il est à propos d'exposer en public un homme de ce caractère, qui sera d'humeur à prêcher le peuple jusque sur l'échafaud et à donner au milieu de Paris un spectacle peu convenable à la conjoncture où nous sommes. On pourroit néanmoins le juger dans la Chambre de l'Arsenal et le faire exécuter dans la cour même de la Bastille; mais c'est, ce me semble, prendre bien des précautions pour un homme de ce caractère, et je craindrais que le public n'en présumât des faits encore plus graves que ceux qui font le crime de cet accusé. Pardonnez-moi la liberté que je prends de vous dire ce que je pense sur ce sujet, avant de savoir quelles pourront être vos vues, que je respecterai toujours comme je le dois, et auxquelles je soumettrai sans réplique mes faibles lumières." (2)

(1) Marc René de Voyer de Paulmy d'Argenson (1652-1721), ministre d'Etat et lieutenant général de police de 1697 à 1718.
(2) A.M. de Boislisle, Correspondance des contrôleurs généraux de finances avec les intendants des provinces, tome 2 (1699 à 1708), Paris, Imprimerie Nationale, 1883, n°524 pp.151-152.

 

22 novembre 2009

Règlement du bourreau de Montauban (1588)

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La ville de Montauban possédait un bourreau dès le XVème siècle. En 1536, ses consuls édictèrent un règlement sur les « libertés et franchises » accordées à l’exécuteur. Le 13 mai 1588, le conseil général de police de l’hôtel de ville renouvela ces statuts en y ajoutant toute une série d’obligations en rapport avec la vie locale. Outre ses activités traditionnelles, comme la punition des criminels et des délinquants, on observe que le bourreau était chargé de la propreté de la cité et de la répression des petits abus quotidiens. Il nous a paru intéressant de publier ce document (1) (avec quelques corrections de l’orthographe) :

- [il est interdit à l’exécuteur] de ne point sortir de la ville ou faubourg pour aller faire quelque exécution ou pour aller aux foires et marchés des environs sans la permission des consuls.
- Il tiendra la place publique nette et la fiente lui appartiendra.
- Il visitera chaque jour la fontaine du Griffoul, l’abreuvoir, l’oulete et la fontaine du Moustier et s’il y trouve quelqu’un qui y lave quelque tête de mouton ou d’autre bête, ou du linge, il l’exécutera sur ce que cette même personne y aura apporté et retiendra ce qu’il lui aura pris jusqu’à ce que, pour chaque exécution (2), il lui soit payé 1 sol tournois.
- La même chose lui est permise s’il trouve quelqu’un qui puise de l’eau dans le bassin du Griffoul avec quelque vaisseau (3) qu’il gardera jusqu’au payement de l’amende d’un sol tournois.
- S’il trouve quelque bête liée et attachée à quelque pilier de la grande place publique ou dans les rues de la ville, il prendra la bête et la mènera au château royal où il la tiendra renfermée jusqu’à ce qu’il soit payé d’un sol d’amende ; outre cela il gardera le licol sans que le concierge en puisse prendre aucun droit.
- Ses gages ordinaires seront d’un écu par mois de 60 sols.
- A la pentecôte, outre ses gages il lui sera baillé une casaque de drap, des chausses et un bonnet de la couleur qu’il plaira aux consuls.
- Chaque premier jour de l’année que la Sainte Cène du Seigneur sera célébrée dans la ville, il lui sera donné par le trésorier de l’hôtel de ville 10 sols tournois outre le précédent salaire.
- Les outils nécessaires pour faire les exécutions lui seront fournis par les consuls.
- A chaque exécution il aura une paire de gants et s’il arrivait qu’il ait besoin d’aide ou d’autre exécuteur ou autrement pour quelque exécution les consuls feront payer l’aide par le trésorier.
- Pour le fouet ou les verges donnés dans la basse cour de l’hôtel de ville il aura 6 sols.
- Pour le fouet ou les verges aux environs de la place publique il aura 7 sols 6 deniers.
- Pour tout homme ou femme condamnés aux verges ou au fouet à tous les coins de la ville il aura 10 sols.
- S’il faut qu’il aille à quelqu’un des faubourgs de cette ville et jusqu’aux croix il aura 15 sols.
- A chaque fois qu’il appliquera la question il aura 15 sols.
- Pour chacun mis au pilori il aura 5 sols et s’il faut le conduire aux faubourgs pour le mettre il aura 7 sols 6 deniers.
- S’il coupe une ou deux oreilles et s’il flétrit quelqu’un, soit en le marquant sur l’épaule ou sur le front ou sur toute autre partie du corps, ou bien s’il doit couper la langue ou la percer sans passer à d’autres punitions, il aura 15 sols tournois en ce compris le salaire du fouet s’il y est condamné.
- De chaque personne désespérée (4) et pour porter le cadavre aux champs il aura 15 sols tournois.
- De tout homme ou femme qu’il pendra et étranglera à la place publique ou en quelque autre endroit de la juridiction il aura 40 sols tournois.
- Pour chaque tête qu’il coupera dans la ville ou sa juridiction il aura 40 sols tournois.
- Si quelqu’un est condamné à avoir quelque membre coupé et qu’il le coupe, soit en vie ou mort, il aura 50 sols sous la condition de porter le membre coupé là où la justice lui aura ordonné de le porter.
- Pour toute personne qu’il exécutera et qui sera condamnée à être brûlée, soit en huile ou autrement, en vie ou mort, il aura un écu sol pour chacun.
- De toute personne rouée il aura tant pour lui que pour ceux qui l’aideront 100 sols.
- Si quelqu’un est plongé dans la rivière deux à trois fois pour avoir blasphémé ou pour toute autre pareille raison, il aura 20 sols.
- S’il jette de la chair moruuse (5) dans la rivière ou qu’il la brûle à la place publique, il aura 2 sols 6 deniers.
- Tous porcs grands et petits trouvés dans les fossés de la ville, à Villenouvelle ou à Villebourbon ou sur les terrasses de campagnes ou du Moustier, il les prendra et les conduira au château royal et pour chacun, ou pour chaque truie, il aura 10 sols tournois de celui à qui les porcs appartiendront.
- Pour chaque brebis ou chèvre, il lui sera payé 6 deniers.
- Pour chaque cheval, jument, âne, ânesse, il lui sera payé 1 sol tournois.
- S’il trouve des porcs, pourceaux ou truies dans l’enclos de cette ville, ou des oisons et des canards, il les enfermera au château royal et pour chacun les maîtres de ces animaux lui payeront un sol, et pour chaque oison ou canard, 6 deniers tournois.
- Quand il ira aux foires, aux marchés de la ville ou quelques autres lieux, il ne prendra rien des paysans, que de gré et ce qu’ils lui voudront donner pour une fois seulement, sans pouvoir mettre la main aux paniers.
- Et pour être reconnu il portera la casaque avec une verge à la main et s’il demande du bois aux charretiers il en prendra volontairement sans qu’ils y soient contraints.
- Les consuls de la ville lui baillent une petite maison située au carrayron ou petite rue des josias (6), sans payer aucun louage, rente, ni taille, laquelle maison il tiendra nette et sera tenue en bon état par la communauté.
- S’il contrevient et délinque à tout ce dessus il demeura 24 heures aux ceps (7), sans prendre de plus grande punition s’il y échoit.

(1) Bibliothèque Nationale, N.A.F. 10139, f° 305r°-307v°.
(2) chaque confiscation.
(3) vaisseau, c’est-à-dire un récipient.
(4) désespérée (qui s’est suicidée)
(5) putréfiée.

(6) C'est-à-dire sur le carreron, rue des juifs. Cette ruelle, qui partait de l'église Saint-Jacques, était bordée à son extrémité par une maison appartenant à la ville et où, déjà en 1480, le bourreau était logé.
(7) il sera mis aux fers, en prison. 



18 novembre 2009

Une exécution secrète (1531)

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Nous avons déjà évoqué à deux reprises des exécutions secrètes (1). Récemment, à la Bibliothèque Nationale, nous avons découvert un document faisant mention d'un nouveau cas qui peut se rattacher à cette catégorie. Cette fois encore, l'ordre est venu "d'en haut", du roi lui-même. Il s'agit d'une copie d'une lettre patente signée à Fontainebleau, le 5 août 1531, par François 1er. Que dit-elle ? En résumé, elle ordonne que le nommé Olivier Delaunez (ou de Lannes) détenu dans les prisons du Petit Châtelet, condamné à être pendu et étranglé par le prévôt de Paris pour crime qualifié commis dans le palais du roi, soit exécuté secrètement par le bourreau. En effet, il est spécifié que le condamné "soit jeté en un sac en la rivière de Seine, à telle heure que peu de gens en puissent avoir connaissance...", en présence de l'avocat du roi et de plusieurs conseillers au Châtelet (2).

Il semblerait que le prévôt de Paris ait mis cet ordre à exécution le 13 septembre suivant.

Faute d'avoir pu découvrir d'autres sources sur cette affaire, nous ne pouvons pas préciser qui était cet Olivier Delaunez, les circonstances de son crime et, surtout, la raison pour laquelle le roi avait personnellement donné ordre qu'on le fasse disparaître discrètement.
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(1) Cf nos articles parus le 10 juin 2009 et le 19 octobre 2009.
(2) Bibliothèque Nationale, Ms Fr. 21731, f°322.

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12 novembre 2009

Un ouvrage sur les bourreaux en 1702


Dans sa livraison de l'année 1703, le Journal des savants, qui rendait compte des principaux ouvrages qui paraissaient en Europe, signale la sortie d'un livre particulièrement insolite. Un in-quarto de 144 pages imprimé à Iéna, en 1702, chez Tobie Oehriingius. Rédigée par Adrian Beier (1) et intitulée De eo quod circa carnifices et excoriatores justum est, qu'on peut traduire par Du droit concernant les exécuteurs et les écorcheurs, il s'agit, à notre connaissance, de la première publication entièrement consacrée aux bourreaux (2). Bien que traitant principalement des exécuteurs allemands, cet ouvrage constitue une source d'autant plus précieuse qu'elle est contemporaine d'une profession alors en pleine prospérité des deux côtés du Rhin. Voici l'analyse qu'en donne le Journal des savants :

"L'auteur commence par son apologie. Il avoue que deux choses l'auroient dû détourner de son dessein ; l'indignité des personnes, dont il traite, &; le desagrément de la matière, que les gens d'une telle profession & de ce mestier sont également dignes d'aversion & de mépris, & qu'au lieu qu'un Auteur s'égaye dans un sujet enjoué & qui divertit, il est presque impossible qu'on ne soit saisit d'une secrète horreur, en traitant d'un matière si désagréable & qui blesse si fort l'imagination ; mais que le motif qui l'a porté à entreprendre cet Ouvrage est qu'ayant déjà fait deux Traitez, l'un des arts & mestiers, & l'autre des dépens pour le criminel, celuy-cy est une suite nécessaire des deux autres.
M. Beier fait voir par des exemples tirez de l'histoire sacrée & prophane, qu'anciennement les juges qui rendoient un jugement de mort, executoient eux-mêmes leurs sentences sur les coupables, & qu'il n'y avoit point de ministre ordinaire & particulier pour leur execution, tel que celuy qui a esté depuis établi par une autorité publique. Qu'autrefois en Espagne, en France, en Italie & en Allemagne, lorsque plusieurs avoient esté condamnés au supplice pour un même crime, on donnoit la vie à celuy d'entre eux qui vouloit bien exercer ce cruel ministère sur ses complices, & qu'on voit encore au milieu de la ville de Gand deux Statuës d'airain, monument éternel d'un père & d'un fils convaincus d'un même crime, où le fils servit d'exécuteur à son propre père.
Qu'avant que cette fonction eût esté erigée dans l'Allemagne en titre d'office, le plus jeune de la communauté ou du corps de ville, demeuroit chargé de cet employ. En Franconie c'étoit le nouveau marié : A Reutlingue ville Impériale de Suaube, le Conseiller dernier reçu : A Stedien petite ville de Thuringe, celuy des habitans qui étoit venu le dernier s'habituer dans le lieu.
Il y a des Auteurs qui ont mis au nombre des droits Regaliens, celuy d'accorder des provisions de cet Office. Notre Auteur remarque qu'il n'est pas permis à tous ceux qui ont droit de justice, d'avoir un Executeur, ou Maître des hautes œuvres, mais que ce droit n'appartient qu'aux Seigneurs qui ont merum imperium, qu'on appelle droit de glaive, ou justice de sang.
Cette charge est unie dans la plûpart des villes d'Allemagne au mestier d'Ecorcheurs : c'est la raison que l'Auteur a eu de ne les pas séparer ; cette seconde fonction estant comme un apanage de la première. Ils sont seuls en droit de dépouiller les bestes mortes, & de les porter, ou faire porter hors de la ville. Ils ont aussi coutume de se promener par les ruës les jours de jeûne, de se saisir des chiens qu'ils trouvent errans & vagabonds, & de ne les rendre aux maîtres qui les réclament, qu'en leur payant un certain droit.
Les gens de cette profession sont aussi en possession de remettre les os disloquez ou rompus. Quoique le corps des Chirurgiens se soit plaint assez souvent de cette entreprise & du trouble qui leur estoit fait, il est intervenu différentes Sentences, qui ont laissé le choix aux patiens de se mettre entre les mains des Chirurgiens, ou en celles de cet Officier, pour les fractures & luxations seulement, à l'exclusion de toutes autres opérations de Chirurgie.
Les autres questions traitées dans ce livre, sont de sçavoir si le Prince ou le Magistrat peuvent obliger un particulier, contre son gré, d'accepter cette sorte d'office; si cette profession est infamante ; si les enfans de l'Executeur peuvent estre admis aux degrez dans les Universitez ? Quelle est la peine ordonnée contre ceux qui enlèvent les criminels, lors qu'ils sont conduits au supplice ? & la punition de ceux qui jettent des pierres contre l'Executeur lors qu'il a manqué du premier coup l'execution; du traitement qui doit estre fait à ceux qui se sont homicidés; & tout au contraire comment on doit procéder contre le criminel, lorsque la mort n'a pas suivi l'execution; s'il faut le remener au gibet, ou le laisser impuni, ou decerner une peine extraordinaire contre luy."
(3)

(1) Juriste allemand, professeur de droit à Iéna (Thuringe, Allemagne).
(2) La Bibliothèque Nationale possède un exemplaire de cet ouvrage sous la cote E*-469.
(3) Le Journal des sçavans pour l'année MDCCIII, Paris, Jean Cusson, 1703, pp. 87-89.

8 novembre 2009

De la hauteur des potences


Au printemps 1775, la France fut secouée par une révolte populaire connue sous le nom de la guerre des farines. Dans un contexte de disette, à la suite d’une hausse du prix des grains et par conséquent du pain, des émeutes éclatèrent à Paris, en île de France et dans plusieurs provinces. Brutalement réprimée, la contestation fut suivie par une vague d’arrestation et la punition de nombreux émeutiers. Dans la capitale, deux individus (1) qui avaient pris une part active au pillage de la boutique d'un boulanger, dans la faubourg Saint-Marcel, le mercredi 3 mai, furent condamnés à mort.

Jugés le 11 mai par la chambre criminelle du Châtelet, les deux émeutiers furent pendus le jour même, vers quatre heures de l'après midi. Dans des circonstances aussi particulières, le procureur du roi avait exigé qu'ils soient accrochés à de très hautes potences afin d’être vus de très loin. On sait que cette initiative ne fut pas du goût de Charles-Henry Sanson, l’exécuteur, qui redoutait d’avoir à officier à plus de cinq mètres du sol. En dépit de ses craintes, on lui commanda d’obéir en lui promettant que le dispositif ne serait utilisé qu’à cette seule occasion.
Dans son journal, Louis-Adrien Le Paige, avocat au parlement et bailli du Temple, relate cette exécution :

« Du 11 mai 1775. On a pendu aujourd’hui à la Grève deux des pillards par jugement du prévôt. Les potences avaient douze ou quinze pieds de haut ; le procureur du roi y avait conclu, mais le jugement ne le portait pas. Cependant cet extraordinaire a eu lieu. Le bourreau, effrayé de cette longue échelle qui tremblait sous lui, est monté à l’hôtel de ville pour représenter au prévôt, qui y était, le péril où cette élévation le mettait lui et le patient ; mais on lui a répondu que cela était fait, et que ce ne serait que cette fois. Il a fallu qu’il s’en tirât de son mieux, ce qu’il n’a fait qu’en craignant beaucoup de culbuter avec son patient, ce qui n’est pas arrivé. Toutes les issues qui répondaient à la grève étaient gardées par des gens à pied et à cheval, la bayonnette au bout du fusil ou l’épée à la main, qui tournaient le dos à la grève et qui faisaient face à ceux qui y seraient entrés. On n’y a laissé entrer que très peu de monde. On les a pendus en plein jour, vers les quatre à cinq heures. On en a pendu aussi deux à Soissons, quelques-uns envoyés aux galères, d’autres bannis. » (2)

De même que le libraire Siméon-Prosper Hardy :

" On avait posé qu'à trois heures après midi les deux potences hautes de dix-huit pieds par extraordinaire et sans doute pour plus grand exemple. Dès deux heures la place de Grève et tous les environs avaient été garnis par des détachemens des différentes troupes tant à pied qu'à cheval. Les Suisses et les gardes françaises continuaient aussi leurs patrouilles dans les rues adjacentes. […] Ces deux malheureux quoiqu'atteints et convaincus d'avoir joué un rôle principal dans la sédition et émotion populaire du 3 mai, criaient le long du chemin en allant au supplice qu'ils étaient innocents et continuent la même protestation en montant à l'échelle pour être pendus." (3)

(1)  Jean-Denis Desportes, 30 ans, perruquier et ancien soldat du régiment de la vieille marine, et Jean-Charles L’Eguiller, 18 ans, gazier.
(2) A. Gazier, La guerre des farines (mai 1775), Mémoires de la Société de l’Histoire de Paris et de l’Ile de France, Tome VI (1879), Paris, H. Champion, 1880, pp. 12-13.

(3) Bibliothèque Nationale, Ms Fr. 6682, f°67.

5 novembre 2009

Emotion d'échafaud à Arras vers 1594

 
Avec ce nouveau récit d'une émotion d'échafaud qui a pour cadre, cette fois, le Nord de la France, il apparait que pour l'opinion publique d'autrefois, le lynchage d'un bourreau maladroit – surtout s'il avait inutilement fait souffrir le condamné – semblait une punition tout-à-fait légitime.
A Arras, vers 1594, la population s'était rassemblée sur la place du grand marché pour assister à l'exécution du nommé Nicolas de la Rye. Le supplicié devait être décapité à l'épée. Opération qui, nous l'avons souvent constaté, était particulièrement difficile à réaliser, même pour un bourreau expérimenté. L'exécuteur, Etienne Chyron, ne parvint pas à décoller du premier coup le condamné. Après plusieurs tentatives pour achever l'opération, qui échouèrent, il fut contraint de "débiter" son patient à la manière d'un boucher. S'en était trop pour les spectateurs. Spontanément, l'un d'eux s'empara de l'échelle de l'échafaud et en frappa violemment le bourreau à la tête. Blessé, celui-ci s'enfuit poursuivi par une partie de l'assistance armée de pierres et de bâtons. Le malheureux, qui s'était refugié dans la cave de l'auberge du cygne, y fut assailli par ses poursuivants et criblé de coups. Il succomba, ayant reçu plusieurs blessures mortelles.

Un jeune homme d'Arras, Antoine Meynart, avait participé au meurtre du bourreau en lui donnant un coup de couteau dans le dos. En fuite, il demanda – et obtint semble-t-il en 1594 – sa réhabilitation (1). Voici un extrait du document où, pour justifier son acte, il met en avant sa conviction " que telle chose (la mise à mort du bourreau) se pouvoit licitement faire, selon que la commune populace en at l'opinion…"

" [Antoine Meynart, jeune homme d'Arras, s'était ] avec plusieurs aultres d'icelle ville, transporté sur le grand marché pour voir l'exécution que s'y faisoit, avec l'espée, de Nicolas de la Rye, ce qu'exécutant, certain officier de justice, nommé maistre Etienne Chyron, auroit, par plusieurs et diverses fois, failly de lui trancher la teste, laquelle, à la parfin, il auroit esté pitoiablement constrainct luy hacher, dont le peuple y assistant se seroit tellement esmeu que ung d'entre ledict peuple se seroit le premier advancé de prendre l'eschelle apposée à l'eschafaut et d'icelle donné ung coup mortel sur la teste d'iceluy officier, lequel, s'estant mis en fuyte, auroit tellement esté poursuiviz par la plupart du peuple y assemblé, qu'il auroit esté chassé dans la cave de l'hostellerye où pend pour enseigne le cigne ; entre lesquelz ledit Antoine Meynart (encoire jeusne homme, pensant que telle chose se pouvoit licitement faire, selon que la commune populace en at l'opinion, combien qu'erronnée), s'y seroit trouvé, mesmes avec plusieurs poursuivans, dans la cave, où ledit officier seroit décédé des coups par luy receus et, par espéciale de celuy de l'eschelle qui desja estoit mortel, et d'aultres qui lui auroient esté inférez de ceulx estans entrez en ladite cave, entre lesquelz ledit Antoine auroit donné ung coup de cousteau au dos, pensant telle chose se pouvoir faire impugnément comme dict est et qu'il se seroit de tant plus persuadé, qu'il voyoit telle multitude de peuple faire le semblable et poursuyvre ledict officier, garniz de pierres, cailloux et aultres bastons ; ce qu'ainsi advenu, voyant ledict suppliant que plusieurs en seroient esté recherchez, mesmes constituez prisonniers, dont les aulcuns auroient esté puniz par le dernier supplice comme aultrement, se seroit absenté de la dicte ville d'Arras et auroit esté banni à tous jours et à toutes nuictes à paine de hart." (2)

(1) Chrétien Dehaisnes, Etude sur les registres des chartes de l'audience conservés dans l'ancienne chambre des comptes de Lille, Mémoires de la Société des Sciences, de l'Agriculture et des Arts de Lille, 4e série, Tome 1er, Paris-Lille, 1876, pp. 366-367.
(2) Archives départementales du Nord, B.1790, année 1594.


19 octobre 2009

Une exécution secrète (1558)


Curieux document que nous publions, puisqu'il s'agit du compte rendu détaillé d'une exécution secrète effectuée au château de Vincennes, le 4 septembre 1558. Il a été rédigé par un officier royal, resté anonyme, mandaté par le garde des sceaux (1).
Le condamné est un noble lorrain, Gaspard de Heu, seigneur de Huy dans le pays messin, ancien échevin de Metz. Protestant, il fut l'un des principaux artisans de l'introduction de la Réforme dans cette ville impériale. Dénoncé pour son activisme en faveur des princes protestants d'Allemagne, dont il était l'intermédiaire avec le roi de Navarre, il fut arrêté par ordre des Guise au retour d'un de ses voyages outre Rhin.
Amené à Vincennes et appliqué à la question, son sort semble avoir été décidé en haut lieu. Pour des raisons assez obscures, relevant de la stratégie ou de la politique, il fut décidé qu'il serait exécuté clandestinement. On a longtemps ignoré la date et les circonstances de sa mort. Récit d'un assassinat à huis clos :

" Cejourd'huy premier jour de septembre 1558, nous lieutenant soubzigné, avons reçu par les mains de Monseigneur le reverendissime Cardinal de Sens, Garde des Sceaux de France, certain arrest et jugement de mort donné contre Gaspard de Heu, Sr de Huy, prisonnier au Chasteau du boys de Vincennes; ensemble certaines lettres de commission du Roy, attachées audit arrest, soubz le contre-seel de la Chancellerie, par lesquelles nous étoit mandé mettre icelluy arrest à exécution, qui selon sa forme et teneur ensuyt, ledit arrest signé Henry, et au dessous De l'Aubespine, et ladite commission aussi signée « Par le Roy », De l'Aubespine, et seellee du grand scel.
Au moyen de quoy, pour satisfaire au contenu de ladite commission le iiije jour dudit moys, accompagnez de Thomas Guay, prins pour greffier en cette partie, et de Ian Corneille, sergent royal en ladite prevosté, nous sommes transportez audit Chasteau du boys de Vincennes. Où estant arrivez, avec et en la compagnie de noble homme Me Michel Viallard, conseiller du roy et lieutenent civil en ladite prevosté de Paris, a esté par ledit Sr Viallard et nous fait entendre au cappitaine du Chasteau, nommé de Belloy (2), les choses qui nous menoyent : à ce qu'il eust à faire retirer ses gens et nous ayder à exécuter secretement ladite commission, suyvant le vouloir du Roy, et, affin qu'il n'en pretende cause d'ignorance, luy avons commandé de faire ouverture de certains lieux et endroits dudit chateau, affin d'adviser lieu propre et commode pour l'exécution dudit jugement de mort, et après en avoir advisé par l'executeur de la haulte justice (3), auquel avions commandé se trouver là, nous serions allez et transportez en une chambre basse où estoit ledit Viallard, affin d'assister avec luy à la torture qu'il debvoit bailler, avant l'exécution de mort audit de Heu.
Où avons esté jusques environ les quatre heures du soir, qu'estant ladite question baillée, se seroit ledit Viallard retiré et party dudit chasteau et serions nous et nostre greffier demeurez seuls, en ladite chambre basse, avec ledit de Heu, auquel nous aurions dit qu'il estait besoin qu'il veint avec nous jusques en une autre chambre prochaine de là.
Sur quoy il nous auroit demandé pourquoy, faisant reffuz d'y venir. Luy aurions respondu que luy ferions entendre, si tost qu'il seroit en l'autre chambre, finallement l'aurions doucement et par moyens fait sortir de ladite chambre, et allans au lieu où entendions le mener, se seroit plusieurs foys arresté, demandant si le voullions faire mourir, nous regardant souvent à la face. Auquel aurions respondu qu'estants au lieu où le menions, luy ferions entendre la volonté du Roy et le jugement contre luy donné.
Finallement aurions tant fait, que l'aurions fait monter en un grenier dudit Chasteau, où luy aurions prononcé ledit arrest et jugement de mort contre luy donné, Et pour executer le contenu en icelluy, l'aurions delivré ès mains de l'exécuteur de la justice.
Quoy voyant, ledit de Heu nous aurait dit, en ces termes : Comment ! Le Roy me veut donc faire mourir !
Et après avoir demeuré quelque peu pensif, se seroit approché de nous, nous demandant s'il y auroit point moyen d'avoir sa grâce.
Auquel aurions respondu qu'il avoit entendu le contenu de son-dit arrest, lequel avions charge de faire exécuter. […]
Toutesfois ne nous auroit rien voulu dire, et auroit demandé un prestre, disant qu'il se voulloit confesser, parquoy en aurions mandé un.
Ce pendant nous auroit requis le laisser parler audit cappitaine; ce qu'aurions accordé, esperant qu'il luy descouvriroit et confesseroit plus tost quelque chose que non pas à nous, dont ledit cappitaine, comme bon et fidelle serviteur du Roy, pourroit advertir puys après ledit seigneur.
Or, nous incontitant apres, aurions dernandé audit cappitaine quels propos lui auroit tenuz ledit de Heu : nous auroit dit qu'il ne luy aurait parlé que de sa femme.
Sur cela, seroit arrivé le prestre qu'avions envoyé quérir. Et aussitost ledit de Heu nous auroit dit qu'il nous déclarait en la présence de luy et dudit cappitaine, que toutes les choses qu'il avoit ce jourd'hui dittes audit Viallard, estoyent faulses et inventees, et que ce qu'il en avoit dit estoit pour la tremeur et crainte qu'il avoit de ladite question, nous reitterant ces propos par deux on troys foys, disant davantage qu'il n'y avoit rien de vérité, sinon ce qu'il avoit dit et confessé audit Viallard, par ses premiers interrogatoires. Luy aurions remonstré que s'il n'en estoit rien, qu'il ne le debvoit dire pour offenser sa conscience; nous auroit respondu qu'il eust dit lors tout ce que l'on eust voulu, pour la crainte de ladite question. Luy aurions remonsté, qu'il n'estoit vraysemblable qu'il eust si promptement inventé tout ce qu'il avoit ce jourd'hui dit. Auroit soutenu que si, qu'il l'avoit inventé et n'en estoit rien, Ce fait, se seroit mis à genoux, où, après avoir fait en françois son oraison tout haut, ledit prestre l'auroit admonesté de sa conscience et salut, et fait plusieurs remonstrances touchant la religion, entre autre choses qu'il ne suffisoit de mourir avecques Jésus-Christ, mais qu'il falloit aussi mourir avec nostre mère saincte Eglise. Sur quoy, enfin, et après quelques propos, auroit ledit de Heu respondu qu'il vouloit mourir avecques Jésus-Christ et l'Eglise, mais non pas comme les Papistes. Et sur ce, aurions demandé s'il se vouloit point confesser et prendre l'absolution dudit prestre; auroit dit que non. Parquoy, voyant qu'il ne vouloit dire autre chose et qu'il ne tendoit qu'a nous tenir en longueur aurions commandé audit exécuteur le mener en un autre grenier prochain et attenant de celluy où nous estions. Où estant l'auroit ledit exécuteur fait monter en une eschelle qui estoit posée contre le surfeste de la couverture dudit grenier, et estant là, ayant la corde au col, nous auroit dit en ces termes : Le Roy me fait mourir, mais il s'en repentira devant qu'il soit troys sepmaines, et il le cognoistra et alors il saura bien au vray qui sont ceux qui ont escrit, fabriqué et composé la lettre envoyée aux Princes électeurs de l'Empire.
Luy aurions remonstré qu'il nous le diroit bien de ceste heure s'il vouloit, l'admonestant de ce faire : nous auroit dit qu'il n'en diroit autre chose puisqu'il alloit mourir; mais que l'on le scauroit assez avant qu'il fust troys semaines, réitérant que le Roy s'en repentiroit et cognoistroit la faulte qu'il faisoit de le faire mourir, et qu'il luy eust bien peu encores faire service.
Et sur ce après avoir dit en français le symbole des apostres, l'auroit le dit exécuteur jetté et estranglé, où il seroit demouré pendu environ une heure.
Ce pendant aurions fait faire une fosse dans les fossez du donjon dudit chasteau, soubz les arches du pont de la poterne, comme nous semblant lieu le plus caché et secret d'alentour dudit chasteau, d'autant que l'on ne va souvent ny aysement esdits fossez, et que les herbes y sont communément grandes. Auquel lieu nous avons fait mettre et poser le corps dudit de Heu, suyvant que par ladite commission nous estoit mandé faire.
Ce fait, aurions fait secrètement retirer ledit exécuteur de la justice et deffendu à luy et à son varlet de dire n'y révéler aucune chose de ladite exécution.
Pareillement avons deffendu audit de Belloy, capittaine dudit chasteau, sur la fidélité qu'il doit au Roy, d'en rien déclarer, et enchargé faire pareilles deffenses au portier, ses mortes payes et serviteurs qui en pourroyent avoir entendu quelque chose, et faire en sorte que ladite exécution fust tenue secrette suyvant le vouloir du Roy, ce qu'il auroit promis de faire.
Et à l'instant serions montez à cheval et retournez à Paris, où serions arrivez environ les neuf ou dix heures de nuict.
Et tout ce certifions estre vray et par nous avoir esté ainsi fait l'an et jour que dessus."

(1) Bibliothèque Nationale, Mss 22562, 1ère partie, pp.110-113. Publié dans le Bulletin historique et littéraire de la Société de l'histoire du protestantisme français, tome XXV, Paris, 1876, pp. 164-168.
(2) Antoine de Belloy, écuyer, seigneur de Belloy-Saint-Léonard, capitaine des châteaux de Vincennes et de la Bastille.
(3) Jean Rozeau, nouveau bourreau de Paris depuis février 1558. Ce ne fut pas la seule exécution clandestine de sa carrière puisqu’il pendit « sans jugement » le président Brison et deux conseillers au Parlement, en 1591, sur l’ordre du Conseil des Seize. Suite à cette affaire, il fut condamné à mort et pendu le 27 août 1594.

15 octobre 2009

Les pénitents de Limoges font évader un condamné à mort


Au XVIIIème siècle, dans un certain nombre de villes de France, une tradition bien établie permettait à des confréries de pénitents d'assister aux exécutions et de procéder à l'inhumation des suppliciés. Mais la mission de ces hommes aux visages dissimulés sous des cagoules, admis auprès des échafauds, allait parfois au-delà de la simple charité. C'est ainsi qu'à Limoges les Pénitents Pourpres, de concert avec les amis d'un condamné, parvinrent à l'escamoter et à l'aider à s'enfuir au moment de son exécution.

L'histoire se situe à la fin de l'année 1742 ou dans les premiers mois de 1743. Un milicien nommé Michel Pascault avait déserté son régiment pour se réfugier dans une cachette qu'il croyait sûre. Retrouvé par un archer, il tua celui-ci en tentant de lui résister. Arrêté cette fois pour ce crime, il fut jugé et condamné à être pendu. L'affaire enflamma les Limougeauds. Une partie de la population inclinait en faveur de Pascault, pensant, à tort ou à raison, que les modalités de son arrestation et de son jugement n'étaient pas "régulières". On disait que l'archer chargé de l'arrêter avait, auparavant, accepté de l'argent du déserteur ou de sa famille contre promesse de ne pas l'inquiéter. De surcroît, la sentence n'avait pas été prononcée par un tribunal ordinaire mais, en raison des circonstances particulières de ce crime, directement par l'intendant du Limousin. L'opinion publique était surexcitée à tel point que les écoliers de Limoges conçurent le projet de faire échouer l'exécution. Les Pénitents de la ville acceptèrent de les aider.
Le jour où le bourreau vint prendre possession du condamné, le plan qu'ils avaient élaboré se déroula parfaitement. Secrètement, la corde de la potence avait été sciée en partie ou, d'après la tradition, frottée au vitriol. Si bien que quand l'exécuteur y eut attaché Pascault, elle se rompit sous le poids de celui-ci. Tombé à terre, le condamné fut immédiatement entouré par les Pénitents qui se tenaient en nombre au pied de la potence. Tandis que les écoliers, disséminés parmi l'assistance, faisaient diversion, les hommes en rouge firent promptement disparaître le supplicié sous un déguisement qu'ils avaient préparé. Le public compatissant ne fit rien pour s'opposer à sa fuite.

Que devint Michel Pascault ? Quelles furent les sanctions prisent à l'encontre des instigateurs et des complices de cette évasion qui eut, on l'imagine, un certain retentissement ? Nous n'avons retrouvé aucun document qui nous renseigne. Cependant, le Parlement de Bordeaux jugea cette affaire suffisamment grave pour prendre un arrêté, le 3 avril 1743, instituant des mesures de rétorsion à l'égard de toutes les confréries de Pénitents située dans l'étendue de sa juridiction. En voici le texte (1) :

ARREST de la Cour du Parlement, qui fait très expresses inhibitions et défenses à tous Pénitents rouges et blancs et autres de quelque couleur qu'ils soient ou puissent être, d'assister en habits de Pénitens ni en corps de confrérie aux exécutions des condamnez à mort, sous quelque prétexte que ce puisse être, à peine de trois cens livres d'amende, etc.
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(Du 3 avril 1743)

Ce jour, le Procureur Général du Roy est entré et a dit : Qu'il est informé que, par un usage établi dans plusieurs Villes et Lieux du Ressort de la Cour, certaines espèces de Confréries, qu'on appelle des Pénitens, dont les uns sont distinguez par Pénitens Blancs, les autres Pénitens Gris, Rouges, Bleus, et autres couleurs, assistent en corps de Confrérie aux exécutions des condamnez à mort, sous prétexte de prendre ensuite le soin de l'inhumation du cadavre du supplicié, et de faire dire des prières. Que cet usage, qui paroît avoir la piété pour principe, est sujet à de très grands inconvéniens, puisque, sous l'Habit dont ces prétendus Pénitens ont la précaution de se revestir dans ces sortes d'occasions, et qui les empêche d'être reconnus de personne, il seroit aisé d'attrouper et aposter des gens armez et mal intentionnez, qui enlèveraient à force ouverte, à la Justice, ceux qu'elle auroit jugés dignes du dernier suplice. Qu'on vient même d'éprouver tout récemment, dans la Ville de Limoges, l'abus de la charité des Pénitens Rouges de cette ville, dont le Corps de Confrérie s'étoit assemblé pour assister à l'exécution du nommé Michel Pascault, condamné à mort pour un meurtre dont la connoissance avoit été attribuée à M. le Commissaire départi de la Province du Limousin; la corde à laquelle ce condamné étoit suspendu ayant cassée, et le patient tombé par terre, ces Pénitens Rouges s'étoient jettez sur lui, aussi bien que sur l'Exécuteur, et, avec le secours de la populace, qui s'étoit émue en cette occasion, ils étoient venus à bout d'arracher le coupable des mains de la Justice et de le garantir du suplice auquel il avoit été condamné. Que comme l'on peut et doit craindre ailleurs des pareils événemens si le même usage de l'assistance des Pénitens y avoit lieu, il paroît de la prudence et de la sagesse de la Cour de les prévenir en faisant des défenses à tous Pénitens Rouges ou autres, de quelque couleur qu'ils soient, dans toutes les Villes et Lieux du Ressort de la Cour, d'assister aux exécutions des condamnez à mort en habit de Pénitent, ni en Corps de Confrérie, etc., etc.
LA COUR, faisant droit de la Réquisition du Procureur Général du Roy, fait très expresses inhibitions et défenses à tous Pénitens Rouges et Blancs, et autres de quelque couleur qu'ils soient ou puissent être, dans toutes les Villes, Bourgs et autres Lieux du Ressort de la Cour, d'assister en Habits de Pénitens, ni en Corps de Confrérie, aux exécutions des condamnez à mort, qui se feront dans lesd. Villes et Lieux, sous quelque prétexte que ce puisse être, à peine de 300 livres d'amende contre chacun des contrevenans, applicable aux Hôpitaux des Lieux, ou les plus prochains, même de punition exemplaire si le cas y échéoit ; pour raison de quoi, en cas de contravention au présent Arrêt., il sera informé, à la requête et diligence des Substituts dudit Procureur Général, devant les Juges Royaux des Lieux, même par les Officiers des Haut-Justiciers dans les Justices Seigneuriales, pour, les informations faites, aud. Procureur Général du Roy communiquées et à la Cour rapportées, être statué ce qu'il appartiendra : Enjoint auxdits Substituts dans les Bailliages, Sénéchaussées et autres Juridictions Royales, même aux Officiers des Justices Seigneuriales, et aux Maires, Jurats, Echevins, Consuls et autres Officiers Municipaux du Ressort de la Cour, de tenir, chacun en droit soi, la main à l'exécution du présent Arrêt, etc. — Fait à Bordeaux, en Parlement, le trois avril 1743.

Cet enlèvement d'un supplicié sur les lieux de son exécution n'est pas unique. On peut citer d'autres cas dans différentes villes de France. Ainsi, le 22 avril 1772, à Montpellier, les Pénitents Blancs tentèrent de répéter l’évasion de Limoges. Le supplicié – un sergent-fourrier du régiment d’Aquitaine – allait être pendu quand un Frère trouva le moyen de couper la corde. Le condamné tomba à terre et les pénitents s’avancèrent pour le secourir. Cependant ils en furent empêchés par l’aide-major de la place. Le pendu, qui respirait encore, fut porté à l’église Saint-Denis où il expira (2).

Les Pénitents Pourpres de Limoges, quant à eux, furent obligés de s'abstenir de paraître aux supplices. Menacée de suppression après avoir été complice d'un acte de rébellion aussi grave, la compagnie – qui jouissait d'une forte popularité – continua néanmoins à subsister. Quelques années après, le Présidial toléra la présence de quelques confrères aux côtés des condamnés à mort mais n'autorisant le rassemblement de toute la confrérie qu'une fois l'exécution terminée. Quarante ans plus tard, les Pénitents Pourpres avaient repris dans toute sa plénitude l'exercice de leur principale mission, sauf qu'il ne leur était permis – qu'exceptionnellement – d'escorter en corps le condamné dans le trajet de la prison à l'échafaud (3).

(1) Bibliothèque de Limoges, LIM B6145/21 (Arrêt imprimé à Bordeaux, chez J.-B. Lacornée, imprimeur du Parlement et de l'Hôtel de ville, rue Saint-James).
(2) Jules Delalain, Les Pénitents blancs et les Pénitents bleus de la ville de Montpellier. Leurs origines. Leur histoire. Leurs règles, Montpellier, J. Martel aîné, 1874, pp. 56-57.
(3) Louis Guibert, Les confréries de pénitents en France et notamment dans le diocèse de Limoges, Bulletin de la Société Archéologique et Historique du Limousin, tome 27, Limoges, imprimerie Chapoulaud Frères, 1879, pp. 130-133.